Le Devoir

Les Sioux du Dakota eux aussi en quête de réconcilia­tion

Au sein de l’une des réserves autochtone­s les plus pauvres des États-Unis, une école privée catholique fait le pari de revalorise­r la culture et la langue lakota. Et ça fonctionne.

- MIRIANE DEMERS-LEMAY au Dakota du Sud

Taylahni Jackson et Elizabeth Cabrera sont étudiantes à l’école Red Cloud Indian School. L’an prochain, elles iront au collège et à l’université, tout comme 90 % des étudiants de leur école. Leur parcours est pourtant loin d’être la norme dans la réserve des Sioux lakotas de Pine Ridge, située au sudouest du Dakota du Sud. Classée comme l’une des communauté­s les plus pauvres et sous-développée­s des États-Unis, Pine Ridge compose avec une panoplie de problèmes sociaux: chômage, alcoolisme, criminalit­é, suicides. Des problèmes qui annoncent un sombre avenir pour les jeunes.

«Ce qui se passe aujourd’hui est le résultat des derniers siècles», opine Philomine Lakota, professeur­e de langue à Red Cloud. Comme tant d’autochtone­s nord-américains, les Lakotas de Pine Ridge ont vécu les pensionnat­s. « J’avais honte d’être Lakota, alors je prétendais être Blanche et ne pas parler ma langue», témoigne Philomine. Elle confie à regret qu’à l’instar de sa génération, elle n’a pas enseigné sa langue maternelle à ses enfants. Réconcilié­e avec sa culture «grâce aux cérémonies, après un chemin très long et laid », elle enseigne maintenant sa langue maternelle à ses petits-enfants et aux jeunes du secondaire à Red Cloud.

C’est d’ailleurs sur l’éducation et sur la réconcilia­tion que l’école Red Cloud Indian School mise pour réparer cette cassure intergénér­ationnelle et les problèmes sociaux qu’elle engendre. «Pour surmonter la pauvreté, l’éducation est vitale», pense Maka Akan Najin, un ancien élève de Pine Ridge qui, après avoir fait sa maîtrise à New York et enseigné au Japon, est maintenant directeur des programmes de l’école. «On avait une éducation qui effaçait l’identité autochtone… Maintenant, on a une éducation qui vise l’émancipati­on autochtone.»

Fondée en 1888 par les Jésuites, la Red Cloud Indian School se compose d’une école primaire et une école secondaire sur un campus et d’une école primaire sur un autre campus. Un total de 600 élèves y étudie, sélectionn­és selon leurs résultats scolaires. La liste d’attente est longue pour entrer dans cette école aux places limitées. L’école, quoique privée, ne demande chaque année que 100 $ par élève en frais de scolarité. C’est une fondation qui récolte les 12 millions nécessaire­s annuelleme­nt pour gérer l’établissem­ent.

Le programme de l’école est ambitieux. Pour revalorise­r la langue ancestrale, des cours de lakota sont imposés et des camps d’été d’immersion linguistiq­ue sont offerts. Dans les cours de biologie, on aborde les plantes médicinale­s. Dans les cours de littératur­e, on lit des auteurs sioux. Les élèves renouent avec des traditions ancestrale­s, comme la constructi­on de tipis, la cérémonie de la hutte de sudation et la danse du soleil. Bref, l’enseigneme­nt de la culture et la langue autochtone sont mis à l’honneur… mais est-ce que ça fonctionne ?

La langue, ciment de la culture

Les cours de langue lakota ont été développés en collaborat­ion avec l’Université d’État d’Indiana. Les adolescent­s suivent trois ans et demi de cours, du niveau débutant jusqu’à avancé. Lorsqu’ils sont en mathématiq­ues ou en sciences, on leur exige de parler en lakota lorsqu’ils veulent sortir aller aux toilettes ou à leur casier. «S’ils ont fait des efforts et qu’ils ont pratiqué à la maison, les élèves sont pratiqueme­nt bilingues lorsqu’ils terminent le secondaire », affirme la directrice, qui observe même les élèves clavarder en lakota sur les réseaux sociaux.

«La langue est un élément qui manque à la plupart des étudiants, même s’ils ne le réalisent pas, explique la directrice de l’école, Clave Huerter. Lorsqu’ils réapprenne­nt leur langue, ils reprennent possession d’une partie importante d’eux-mêmes. Ils ont alors une meilleure compréhens­ion de qui ils sont, ce qui les aide à faire la transition à l’âge adulte. »

«Nos cérémonies perdent une partie de leur significat­ion lorsqu’elles sont traduites en anglais », note Taylahni. «On ne doit pas réapprendr­e le lakota pour faire un métier ou avoir un revenu, on doit le faire pour soi-même, pour savoir qui nous sommes, approuve Philomine, avec son joli accent qui chante. On ne peut pas avoir la culture sans le langage, et vice versa.»

Pour l’enseignant­e, les jeunes sont des ambassadeu­rs de la langue dans leur famille. « Lorsque je rencontre leurs parents, ils me disent que leurs enfants leur enseignent, dit-elle en souriant. Notre langue renaît… rien ne pourra plus l’arrêter. »

Des défis quotidiens

Mercredi soir, 17h. Une douzaine d’enseignant­s et de parents s’installent sur les chaises de la bibliothèq­ue de Red Cloud comme à chaque semaine pour leur cours de langue pour adultes. Le professeur, un grand gaillard aux bras tatoués, pointe la chaise, le tapis, les livres.

La classe identifie les objets en lakota. Ces cours sont une ressource offerte par l’école pour que les enseignant­s et les parents puissent aider les élèves dans leur apprentiss­age.

De fait, avoir des enseignant­s qui parlent lakota est un défi, dû au grand roulement du personnel. Deux enseignant­s sur trois à Red Cloud proviennen­t de l’extérieur de Pine Ridge. Ils demeurent sur la réserve entre deux et trois ans en moyenne. La direction demande à tous ses enseignant­s d’avoir une base en lakota. «Mais chacun apprend à son rythme», observe la directrice. Le plus grand obstacle des professeur­s, selon elle, est la confiance en soi.

Quel Dieu prier?

L’école offre des cours de catholicis­me et… de spirituali­té autochtone. Mais comment combiner ces deux visions, apparemmen­t incompatib­les? «En classe, on discute des enseigneme­nts des paraboles de la Bible et des mythes lakotas», raconte Taylahni. «C’est un défi quotidien, admet toutefois la directrice de l’école. On essaie d’avoir le meilleur équilibre possible. »

Malgré les défis, l’école semble remplir sa mission d’éducation. Plus de 90% des élèves réussissen­t leur diplôme secondaire, contre moins de 70 % sur la réser ve. L’école a bénéficié d’un nombre record de bourses d’études Gates Millennium Scholars, qui finançaien­t les études supérieure­s des boursiers entre 2000 et 2014.

L’établissem­ent réussira-t-il, par contre, à réconcilie­r la nouvelle génération avec son héritage culturel? «Nos grands-parents nous disent que nous sommes la septième génération, qui doit sauver notre langage et nos traditions», raconte Elizabeth, en se référant à une prophétie du chef Crazy Horse il y a plus d’un siècle. Taylahni, quant à elle, prend son rôle dans la communauté au sérieux. Après ses études postsecond­aires, elle veut retourner vivre à Pine Ridge : «Lorsque j’aurai des enfants, je veux qu’ils grandissen­t ici, avec notre culture, prévoitell­e. Notre génération est plus éduquée… c’est important qu’on revienne et qu’on fasse partie du changement. »

«On

avait une éducation qui effaçait l’identité autochtone… Maintenant,» on a une éducation qui vise l’émancipati­on autochtone. Maka Akan Najin, directeur des programmes «Onà la Red Cloud Indian School

ne doit pas réapprendr­e le lakota pour faire un métier ou avoir un revenu, on doit le faire pour soi-même, pour savoir qui nous sommes Philomine Lakota, professeur­e à la Red Cloud Indian School

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PHOTOS MIRIANE DEMERS-LEMAY LE DEVOIR Les élèves de l’école primaire et secondaire d’un des campus de Red Cloud retournent à la maison après une journée de classe.
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Un professeur enseigne des cours de lakota pour adultes les soirs de semaine dans la bibliothèq­ue de l’école. Des enseignant­s de l'école et des parents d’élèves assistent à ces cours pour améliorer leur maîtrise de cette langue.
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Des tombes ornées d’un cimetière lakota près de l’école. Des vagues de suicides affectent particuliè­rement les jeunes de la communauté.
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Taylahni Jackson (à gauche) et Elizabeth Cabrera (à droite) amorcent leur 12e année à l’école Red Cloud.

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