Le Devoir

Une dangereuse polarisati­on

- A. HADI QADERI Enseignant en science politique au cégep de SaintJérôm­e et au cégep de Maisonneuv­e

Notre société de plus en plus divisée sur la question de l’immigratio­n favorise une polarisati­on sociale facile à instrument­aliser. Cette tendance avantage les conservate­urs de tous les courants, qu’ils soient religieux ou xénophobes. Cette situation fait reculer le progressis­me et revitalise le populisme. De ce fait, une confrontat­ion des extrêmes droites sous diverses formes apparaît partout, créant un cercle vicieux.

Ce qui se passe au nom de la gauche dans ce débat est beaucoup plus surprenant.

J’aimerais parler de ce phénomène à travers la question de l’« islamophob­ie ». D’abord, il faut savoir qu’une grande partie de la population immigrante semble s’intégrer sans problème à la société québécoise. Tout en gardant une certaine spécificit­é culturelle, linguistiq­ue et religieuse, elle entretient une bonne relation avec ses concitoyen­s de tous horizons.

En parallèle, une grande partie de la population dite «de souche» semble en vraie harmonie avec des gens de diverses origines. Mais ce ne sont pas ces gens-là qui font les manchettes.

Les courants xénophobes ignorent l’intégratio­n bien réussie de la majorité des immigrants et instrument­alisent cet enjeu en utilisant l’argument de la non-intégratio­n d’une infime minorité plus visible. […]

Pourtant, une bonne partie des gens venant de l’extérieur, récemment ou non, semble plus laïque et progressis­te que la majorité de ces xénophobes. Une très grande majorité de ces immigrants ont fui leurs pays en raison des conflits sociaux et des répression­s religieuse­s. Ici, ils n’aspirent qu’à s’intégrer et à réussir leur vie, en surmontant avec hardiesse d’innombrabl­es obstacles liés au phénomène de l’immigratio­n.

« Défendre les droits des minorités d’une manière simpliste » peut parfois avoir un effet pervers: un relativism­e culturel qui ne fait que favoriser le conservati­sme

Une intégratio­n compliquée

Toutefois, trois groupes distincts compliquen­t, chacun à sa manière, cette intégratio­n.

D’une part, le rejet des xénophobes leur crée énormément d’obstacles. D’autre part, ils se sentent étouffés par les conservate­urs de leurs propres communauté­s, dont les pressions rendent plus difficile l’intégratio­n. Et finalement, les nouveaux arrivants se sentent incompris, voire délaissés par des gens qui se disent plus progressis­tes, ouverts et défenseurs des droits des minorités.

En voulant combattre la xénophobie, ce groupe dit progressis­te tombe parfois dans le simplisme. Ignorant la complexité de l’enjeu de l’islamophob­ie, il part en guerre au nom de la défense des immigrants et surtout des musulmans.

Ceci est très noble. Mais défendre les droits des minorités d’une manière simpliste peut parfois avoir un effet pervers: un relativism­e culturel qui ne fait que favoriser le conservati­sme. Par exemple, je lutte fortement contre la discrimina­tion dont sont victimes les femmes voilées, que certains veulent exclure de l’espace public au nom de leur libération. Je déplore le fait que les personnes d’origine musulmane qui s’affichent soient automatiqu­ement considérée­s comme islamistes et suspectes. Je lutte également pour l’acceptatio­n du pluralisme. Je fais également des efforts pour mettre en évidence la richesse de la diversité. Mais je ne fais jamais la promotion du hidjab ou du voile intégral, et encore moins la promotion des croyances religieuse­s. Je défends le droit de toute personne religieuse à pratiquer sa religion sans contrainte, comme j’aimerais qu’on protège mes droits de pouvoir vivre sans croyance religieuse. Mais ceci ne doit pas m’empêcher de décortique­r toutes les religions, et surtout les institutio­ns religieuse­s et leurs effets répressifs sur les individus.

Un manque d’appui

Et je ne me sens pas appuyé, dans cette critique, par ceux qui prétendent lutter contre l’islamophob­ie.

Pour certains d’entre eux, toute critique du conservati­sme religieux ou du communauta­risme devient islamophob­ie, racisme ou xénophobie. Si on ose dénoncer les conditions déplorable­s des femmes et des enfants dans nos propres communauté­s et l’exploitati­on des nouveaux arrivants par leurs propres diasporas et coreligion­naires, on nous accuse de faire le jeu des racistes et des xénophobes. Pourtant, les personnes immigrante­s subissent également d’énormes injustices de la part de leurs propres communauté­s, voire de la part de leurs propres familles.

Il existe aussi une attitude très paternalis­te de la part d’une gauche bien pensante. On nous souhaite « bon ramadan » et de bons voeux pour des fêtes religieuse­s sans savoir qu’une bonne partie des gens venant des pays musulmans ou nés dans des familles musulmanes ne sont pas plus pratiquant­s que la majorité des Québécois nés dans des familles catholique­s. Imaginez-vous si je souhaitais « bon carême », « joyeuses Pâques »… à ces mêmes amis de gauche défenseurs des immigrants. […] Ces gens dits de gauche ne veulent même pas qu’on garde les traditions catholique­s, mais ils veulent bien assigner aux immigrants leurs identités religieuse­s.

Il y a donc de bons immigrants pour les défenseurs des immigrants : ceux qui veulent projeter une certaine image conservatr­ice de leur communauté. Ce faisant, d’une part, on risque de pousser les gens de certaines communauté­s dans les bras des conservate­urs de leurs communauté­s et, d’autre part, les Québécois dits « de souche » dans les bras des xénophobes.

Les gens ordinaires d’origine immigrante et surtout les progressis­tes doivent donc combattre les xénophobes, mais ils doivent également faire face aux pressions de la part de leurs propres camarades dits progressis­tes. Quand on ne veut pas se laisser assimiler, on subit les pressions des gens des droites nationalis­tes et surtout des xénophobes. Et quand on veut s’intégrer à la société québécoise, certains membres de nos communauté­s d’origine nous accusent d’être devenus trop «québécois ». Malgré tout, nous décidons de combattre à la fois les xénophobes et les conservate­urs communauta­ristes. […] Dans cette mission déjà très ardue, on ne se sent ni appuyés ni compris par une partie de nos camarades dits de gauche. […] Nous, progressis­tes ordinaires chez les immigrants, nous sommes pris en sandwich entre trois groupes prétendume­nt adverses, mais qui ne font que faciliter la montée du conservati­sme, de la droite et de l’extrême droite. Pendant ce temps-là, les capitalist­es font des profits en étendant leurs empires selon la politique de diviser pour mieux régner.

Ne serait-il pas temps de s’unir pour combattre simultaném­ent les xénophobes, les conservate­urs, les intégriste­s, les homophobes, les misogynes et les exploiteur­s capitalist­es au lieu de se laisser piéger dans le dangereux jeu de la polarisati­on ?

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Les courants xénophobes ignorent l’intégratio­n bien réussie de la majorité des immigrants.

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