Exercice d’admiration
LA FEMME LA PLUS DANGEREUSE DU QUÉBEC Texte: Josée Yvon et Denis Vanier. Adaptation : Dany Boudreault et Sophie Cadieux. Mise en scène : Maxime Carbonneau. Une production de La Messe basse. À la salle Fred-Barry du théâtre Denise-Pelletier jusqu’au 28 octobre.
L’oeuvre d’une écrivaine est-elle dissociable de sa vie? Peut-on lire (et mettre en scène) les écrits d’auteures «kamikazes» comme Nelly Arcan, Sylvia Plath, Marie Uguay ou Virginia Woolf sans tenir compte de leur terrible destin? Dans le spectacle qu’il consacre à Josée Yvon, subversive poète québécoise à qui l’on doit notamment Fillescommandos bandées (1976), Travesties-kamikaze (1980) et Filles-missiles (1986), Maxime Carbonneau semble refuser de répondre.
Ainsi, La femme la plus dangereuse du Québec adopte toutes les avenues. Plutôt que de faire entendre l’oeuvre dépouillée de son contexte d’écriture, de lui accorder son autonomie, en somme de rendre hommage à l’héritage littéraire singulier de Josée Yvon, le metteur en scène fait inexplicablement tout et son contraire: un récital de poésie et un exposé universitaire, une anthologie et une table ronde, une performance et un documentaire. Comme on dit, qui trop embrasse mal étreint.
À partir des écrits de l’auteure, mais aussi de ses archives (24 boîtes remplies de correspondances, de demandes de subventions, de dossiers médicaux, de manuscrits et de notes diverses), sans oublier de puiser aux ouvrages du poète Denis Vanier, qui fut le compagnon de Josée Yvon pendant 18 ans, Dany Boudreault et Sophie Cadieux ont donné naissance à un collage pour trois voix, une courtepointe à laquelle on peine à trouver un sens, une cohérence.
Dans un décor kitsch, évocation de l’appartement que partageaient Yvon et Vanier, théâtre d’une contre-culture à laquelle la représentation ne parvient pas à rendre justice, trois protagonistes s’agitent. Pour l’aider à recréer la vie et l’époque de celle que Vanier surnommait « la fée des étoiles », une jeune universitaire maladivement absorbée par son sujet (Ève Pressault) fait appel à une femme (Nathalie Claude) et à un homme (Philippe Cousineau). Sous nos yeux, ils improvisent, incarnent Yvon, puis Vanier, s’interrogent, se laissent guider par les mots, puis les remettent en question.
Plutôt que d’être fertile, la dissertation vivante est si chaotique qu’elle donne l’impression d’assister à une répétition. Les créateurs déploient beaucoup d’énergie à imposer l’image stéréotypée d’un couple porté par la drogue, le sexe et le rock and roll, plutôt que de mettre en avant la dimension transgressive des écrits de Josée Yvon, le mélange des genres et des registres, la juxtaposition du grotesque et du sublime, du brut et du raffiné, mais aussi la manière unique de dire l’écart indécent entre les privilégiés et les exclus. En somme, la représentation ne rend pas justice à l’oeuvre qui l’a déclenchée.