Le Devoir

Loi 62 Pas de sanction pour les réfractair­es

Les réfractair­es ne feront l’objet d’aucune sanction pénale, reconnaît Stéphanie Vallée

- MARIE VASTEL Correspond­ante parlementa­ire à Ottawa

Montréal pourrait ne pas être la seule ville à bouder la nouvelle loi 62 sur la neutralité religieuse. Les Villes pourront aisément contourner la législatio­n québécoise, confirme un constituti­onnaliste. D’autant plus que les réfractair­es ne feront l’objet d’aucune sanction pénale, reconnaît la ministre de la Justice, qui ne semble pas particuliè­rement inquiète d’en voir plusieurs hésiter à appliquer sa loi.

Le maire sortant de Montréal, Denis Coderre, a rejeté d’emblée la nouvelle loi, tout comme les employés de la Ville de Montréal.

Techniquem­ent, les Villes n’ont qu’un pouvoir qui leur est délégué par la province. « Elles n’ont aucun pouvoir de se soustraire à l’applicatio­n d’une loi, ni fédérale ni provincial­e», explique le constituti­onnaliste Stéphane Beaulac, de l’Université de Montréal, au Devoir. Sauf que la loi 62 prévoit la possibilit­é d’octroyer des accommodem­ents à compter de juillet prochain — une responsabi­lité qui incombera aux organismes qui offrent un service public.

«On pourrait bien imaginer qu’une directive soit donnée à différents services publics pour un accommodem­ent général, sous lequel on n’exigerait pas de se dévoiler », note M. Beaulac.

La ministre de la Justice Stéphanie Vallée espère faire parvenir ce printemps aux divers intervenan­ts les lignes directrice­s qui préciseron­t les balises d’accommodem­ents à sa loi, qui exige l’octroi et la réception de services publics à visage découvert. Elle s’est dite optimiste d’en arriver à une «voie de passage pour s’assurer du respect des dispositio­ns de la loi et des libertés».

Mais qu’arrivera-t-il si la Société de transports de Montréal persiste à refuser de l’appliquer? «Il n’y a pas de dispositio­ns pénales dans la loi», a-telle admis.

Ce qui mène l’avocat constituti­onnaliste Julius Grey à se demander si la loi ne sera même jamais imposée. « Si on voulait être cynique, on dirait que

cette loi a été rédigée pour être en place pour les élections et ne pas être appliquée après», a analysé l’avocat, en entretien avec Le Devoir.

Car Me Grey prédit deux scénarios: ou bien les lignes directrice­s ordonneron­t que la loi soit appliquée au sens strict — «auquel cas cette loi a toutes les chances du monde d’être annulée» — ; ou bien les lignes directrice­s permettron­t aux Villes, hôpitaux et autres de s’y soustraire — « auquel cas, le gouverneme­nt ne devrait pas édicter des lois qu’il n’a pas l’intention d’appliquer », observe le juriste.

À Laval, comme à Montréal, le maire sortant, Marc Demers, voit «beaucoup de problèmes dans l’applicatio­n» de la nouvelle loi dans les bibliothèq­ues, les transports en commun et les comptoirs d’informatio­n aux citoyens, relate son attaché de presse. M. Demers veut participer à l’élaboratio­n des lignes directrice­s de la ministre Vallée. D’ici là, «rien ne change».

Le maire sortant de Québec, Régis Labeaume, a critiqué la loi 62 dans le passé, mais il a indiqué au Journal de Québec qu’il allait «s’y ajuster».

Le maire sortant de Gatineau, Maxime Pedneaud-Jobin, doute que la loi fasse «avancer sur la laïcité de l’État», mais il l’appliquera, même s’il espère que Québec en clarifiera les paramètres d’applicatio­n. Statu quo

Chose certaine, la loi 62 ne sera appliquée pour l’instant par aucune des sociétés de transport que compte le Québec. Les neuf membres de l’Associatio­n du transport urbain du Québec (ATUQ), qui est d’ailleurs réunie en colloque cette semaine, ont convenu que tout était sur la glace d’ici à ce que le gouverneme­nt précise les modalités d’applicatio­n.

«Toutes les sociétés de transport sont dans l’attente », confirme le directeur général de l’ATUQ, Marc-André Varin. « C’est le statu quo. Il n’y a pas de consigne donnée aux chauffeurs.» Les neuf entendent se concerter, mais il n’est pas garanti qu’elles feront front commun. Car les sociétés prennent aussi des directions de leurs maires, qui sont en campagne électorale, note M. Varin.

En outre, la situation varie d’une région à l’autre. La Société de transport de l’Outaouais (STO), par exemple, «fait du transport interprovi­ncial en desservant le centre-ville d’Ottawa, et des résidants d’Ottawa montent également à bord de nos autobus », rappelle la porte-parole Céline Gauthier. On se demande à la STO si une femme devra soulever son voile lorsque son autobus traversera la rivière des Outaouais et entrera dans Gatineau.

Avec Hélène Buzzetti et Marco Bélair-Cirino

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ANNIK MH DE CARUFEL LE DEVOIR Au lendemain de l’adoption de la loi sur la neutralité religieuse, des usagers de la STM se sont présentés jeudi le visage voilé dans les autobus et les stations de métro pour protester contre l’exigence de montrer son visage pour recevoir des services...

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