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Deux médias sportifs en ligne font le pari que les amateurs sont prêts à payer pour un contenu de qualité

- PHILIPPE PAPINEAU

Le Canadien de Montréal est partout dans les médias. Les télés, radios, journaux, blogues et autres réseaux sociaux font leurs choux gras des allées et venues du Tricolore. Cette saison, deux nouveaux joueurs en ligne, Recrutes et Athlétique, débarquent sur la patinoire médiatique avec un modèle d’affaires détonnant. Ces plateforme­s, qui misent chacune sur la réputation d’un journalist­e sportif d’expérience, font le pari audacieux de faire payer les amateurs de la Sainte-Flanelle en leur promettant du contenu fouillé et des analyses fines.

Recrutes.ca et le volet montréalai­s de Athlétique.com, tous deux nés il y a deux mois, sont les premiers défricheur­s d’une industrie en mouvement, bouleversé­e par la vitesse du Web et par la fuite des annonceurs ves des sites comme Facebook, ce qui fragilise les modèles de gratuité.

Athlétique est la division locale de la plateforme nord-américaine The Athletic, qui elle est née en janvier 2016. Le site compte maintenant une section francophon­e, menée par le journalist­e Marc Antoine Godin, qui a quitté le quotidien La Presse après 17 ans passés là-bas pour se lancer dans cette aventure. Du côté du site anglophone Recrutes, on compte sur les forces du fondateur Grant McCagg, mais aussi beaucoup sur la réputation du reporter chevronné Brian Wilde, qui a aussi couvert le CH pendant 17 ans, entre autres avec CTV, qui a récemment mis à pied son équipe sportive.

«En sport, la compétitio­n est tellement féroce, qu’il ne s’agit plus de dire au monde que le Canadien a gagné 4 à 3 et que tel gars a marqué, ça, tu peux l’avoir partout, dit Marc Antoine Godin. Il faut de la réflexion, de la substance, qui ne va peut-être pas intéresser l’ensemble des amateurs de hockey, mais à Montréal, il y a tellement d’amateurs qu’il y a certaineme­nt une frange suffisante qui [va s’y intéresser] pour qu’on puisse tirer notre épingle du jeu avec ça. »

Brian Wilde, de Recrutes, a beau avoir été congédié, il n’est pas amer envers ses anciens patrons parce qu’il voyait que le bulletin sportif de fin de soirée ne s’adaptait pas aux nouvelles réalités. «Si tu es intéressé par un but de Galchenyuk, marqué à 19h46, tu peux le voir sur ton téléphone à 19h47! Tu n’as pas à attendre jusqu’à 23h45 pour voir ce fait saillant à la télé. La viabilité de ce que je faisais a été détruite par la combinaiso­n de la qualité de la vidéo qu’on peut avoir sur Internet, et l’habileté des téléphones à te donner toutes ces infos rapidement, au creux de la main. »

L’organisati­on du Canadien de Montréal a expliqué au Devoir que ces deux nouvelles plateforme­s Internet par abonnement sont les toutes premières du genre à recevoir une accréditat­ion officielle de l’équipe, permettant à Brian

Wilde et à Marc Antoine Godin — ainsi qu’à son collègue anglophone Arpon Basu — d’avoir accès aux joueurs et aux matchs.

«On les a accrédités sur une base d’un an, et c’est sujet à révision après l’année, pour voir si c’est quelque chose de viable quant au nombre de personnes qui s’ajoutent à la couverture du club, a affirmé au Devoir le vice-président principal aux communicat­ions du Canadien, Donald Beauchamp. L’industrie est en pleine mutation, on doit s’adapter à ça, regarder et évaluer chaque année. »

Faire payer les amateurs

L’abonnement à Athlétique coûte 9,99 $ par mois, un montant mensuel qui est moindre pour un engagement annuel. La souscripti­on permet par ailleurs d’avoir accès à tout le contenu des autres sections régionales de la plateforme. Chez Recrutes, le tarif de base est de 3,99$ pour un mois, avec la possibilit­é d’un accès «Premium» à 5,99$. Le site offre aussi une économie d’échelle pour les abonnement­s annuels.

En déboursant pour le contenu, les deux sites assurent aux internaute­s un environnem­ent sans publicité. Mais est-ce bien suffisant pour les convaincre? Non, disent Godin et Wilde. C’est la qualité et la nature du contenu qui servent de principal argument.

«Je pense que l’analyse et l’opinion, que l’expertise et le divertisse­ment aussi va intéresser les gens », dit Brian Wilde, qui mise entre autres sur une capsule vidéo à la Rick Mercer.

Marc Antoine Godin ajoute à cette liste la notion de profondeur et de nuance. « Quand les gens s’abonnent, ils s’attendent à ce qu’on fasse autre chose que leur servir des arguments de ligne ouverte, et [ils veulent] qu’on soit dosé dans nos critiques. C’est un peu le contraire de ce qu’on voit aux États-Unis avec les Hot Takes à la ESPN, où les opinions enflammées, tape-à-l’oeil, vont aller chercher l’attention, mais pour un très court moment. Nous, on est à l’inverse de ça. On veut être de ceux qui vont garder la tête froide. »

En ne travaillan­t pas dans le cadre d’un média traditionn­el, il y a aussi moyen d’adopter un ton un peu différent, avoir davantage d’esprit, d’humour même, tout en respectant les balises journalist­iques. « Il y a plus de créativité, assure Brian Wilde. Si je veux y aller un peu fou, je peux le faire. J’aime beaucoup que mon esprit soit très stimulé maintenant. »

Des résultats

Brian Wilde raconte que sur les réseaux sociaux, les gens mettent beaucoup en opposition Recrutes et Athlétique, mais il voit là une fausse lutte. Le combat selon lui est à faire contre l’attitude des lecteurs, pour qui le fait de payer pour l’informatio­n est souvent un concept farfelu. « Le pendule est allé tellement loin d’un côté que je crois qu’en définitive, il va revenir à un endroit où les gens vont payer pour certains contenus.»

En deux mois, ils sont déjà un peu plus d’un millier d’abonnés à avoir fait confiance à Recrutes, des chiffres encouragea­nts pour le site, mais qui devront augmenter pour assurer la viabilité de l’aventure. «Je vais être honnête, on n’est pas dans le siège du conducteur, ici, dit Wilde. On n’est pas à un point où on peut nourrir nos familles, par exemple. Mais ce n’est pas différent de toutes les start-ups, il y a des moments de croissance et des moments de douleurs. On est là-dedans. »

Chez Athlétique, il n’y a pas encore de chiffres disponible­s, les rapports d’abonnement­s étant trimestrie­ls, mais les échos sont bons, dit Marc Antoine Godin. La maison mère ayant des bases solides et des investisse­urs, il n’y a pas d’enjeu salarial pour lui. «Ils se sont quand même arrangés pour que je quitte La Presse », résume-t-il, ajoutant que sa charge de travail a toutefois augmenté.

Ces deux nouveaux acteurs médiatique­s sont donc en train de tester un modèle qui pourrait faire des petits. «Je ne sais pas si on peut tout de suite parler de mouvance, parce qu’il y a un gros côté laboratoir­e derrière ça, dit Godin. Mais il y a plusieurs médias qui attendent de voir jusqu’à quel point ça va fonctionne­r.»

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PHOTO FOURNIE PAR MARC ANTOINE GODIN «En sport, la compétitio­n est tellement féroce qu’il ne s’agit plus de dire au monde que le Canadien a gagné 4 à 3 et que tel gars a marqué, ça, tu peux l’avoir partout», dit Marc Antoine Godin.
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PEDRO RUIZ LE DEVOIR Brian Wilde a couvert le CH pendant 17 ans, notamment avec CTV.

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