Campagne de terreur
Robin Aubert nous offre un film d’horreur digne des grands maîtres du genre
LES AFFAMÉS ★★★1/2 Drame d’horreur de Robin Aubert. Avec Marc-André Grondin, Monia Chokri, Brigitte Poupart, Micheline Lanctôt, Marie-Ginette Guay, Didier Lucien, Charlotte Saint-Martin, Luc Proulx et Édouard Tremblay Grenier. Canada (Québec), 2017, 96 minutes.
Robin Aubert rêvait d’en tourner un depuis des années. Les amateurs du genre l’attendaient depuis plus longtemps encore. Douze ans après l’éclaté (et sous-estimé) Saints-Martyrs-des-Damnés, où il démontrait déjà qu’il pouvait jongler avec panache avec les codes de l’horreur et du fantastique, le voilà qu’il livre avec brio le premier grand long métrage québécois de zombies. Un film que n’aurait certes pas renié le grand maître du genre, le regretté George A. Romero (La nuit des morts-vivants).
Meilleur long métrage canadien au TIFF et meilleur long métrage de la section Temps au FNC, Les affamés plaira assurément à ceux qui carburent à l’hémoglobine, aux effets de choc, aux poursuites effrénées et aux atmosphères anxiogènes. Sans doute saura-t-il aussi combler les cinéphiles qui prisent peu le genre. S’étant notamment inspiré de Tarkovski et de Bresson, Aubert signe avant tout un film d’auteur rivalisant de qualité, d’intégrité et d’originalité avec ses précédentes offrandes (du déchirant À l’origine d’un cri au déroutant Tuktuq).
Campée en région rurale, l’intrigue des Affamés est toute simple: alors qu’une mystérieuse épidémie transforme les gens en morts-vivants, divers individus ayant peu en commun doivent compter les uns sur les autres pour demeurer vivants. À l’instar des grands films d’horreur ayant marqué leur époque, celui de Robin Aubert s’avère une puissante fable sur la société d’aujourd’hui pouvant se prêter à diverses interprétations.
De l’exode rural à la crise migratoire, en passant par les ravages du capitalisme sauvage, Les affamés illustre de manière métaphorique les drames et les dérives de notre société. À travers le comportement méfiant, voire paranoïaque des personnages les uns envers les autres, c’est la peur de l’autre, le triomphe de l’individualisme qu’illustre sans fard Aubert.
Distribution béton
Quant à ces êtres déshumanisés érigeant de hautes structures composées de meubles et d’objets hétéroclites (magnifiques créations de la directrice artistique André-Line Beauparlant) à travers champs, ne peut-on pas y voir une troublante critique de la société de consommation ou d’une société en quête de spiritualité ?
Porté par la trame sonore de Pilou, qui combine savamment râles, chuchotements et cris terrifiants, Les affamés se révèle également un film qui tient le spectateur dans un état de tension constant. Les scènes d’action y sont bien ficelées, le rythme bien maîtrisé et l’ambiance oppressante à souhait —, et ce, malgré le charme bucolique des lieux bellement croqué par le directeur photo Steeve Desrosiers.
Ponctuellement, Robin Aubert s’amuse à décontenancer le spectateur avec une réplique ou une situation désopilante. Alors qu’il se dilate la rate, vlan !, le réalisateur le plonge de nouveau dans l’horreur pure. Mieux encore, Aubert lui réserve aussi des scènes émouvantes, parfois teintées de tendresse, où il traduit à la fois le courage et le désarroi des personnages.
Si bon nombre de films d’horreur sont trop souvent défendus par de piètres acteurs, ce n’est certainement pas le cas des Af famés qui bénéficie d’une distribution béton au diapason. Alors qu’on sait peu de choses sur leur passé, sur leur identité, les acteurs parviennent instantanément à rendre leurs personnages aussi crédibles qu’attachants.
D’un bel aplomb laissant trahir la vulnérabilité de son antihéros, Marc-André Grondin trouve ici quatre partenaires de taille. À la fraîche impétuosité de Monia Chokri et à la fougue contenue de Brigitte Poupart, Robin Aubert oppose l’autorité naturelle de Micheline Lanctôt et la force tranquille de Marie Ginette Guay, créant ainsi un redoutable quatuor féminin comme on en a rarement vu au cinéma.