Le Devoir

De l’ombre au tableau

- PIERRE VALLÉE

Nicole Lefebvre, vice-présidente et responsabl­e du regroupeme­nt cégep à la Fédération nationale des enseignant­es et enseignant­s du Québec (FNEEQ), affiliée à la CSN, soulève quelques inquiétude­s quant au financemen­t et à la mission des cégeps.

D’abord, le réinvestis­sement financier consenti au réseau des cégeps par le présent gouverneme­nt est à ses yeux nettement insuffisan­t. «À ce rythme-là, soutient-elle, ça va prendre une décennie pour revenir au niveau de financemen­t que l’on avait avant les mesures d’austérité. »

Mais ce qui l’inquiète au premier chef est la façon dont ce réinvestis­sement se fait. Les cégeps reçoivent le financemen­t de l’État de deux façons, soit par des enveloppes fixes, destinées à des postes budgétaire­s, comme les activités pédagogiqu­es et les infrastruc­tures, soit par des enveloppes spécifique­s, destinées à la mise en place de programmes particulie­rs d’activités.

«Les compressio­ns budgétaire­s se sont principale­ment concentrée­s sur les enveloppes fixes, souligne Mme Lefebvre, mais le réinvestis­sement, lui, nous arrive surtout par l’intermédia­ire des enveloppes spécifique­s. »

Cela pose problème à ses yeux. Les enveloppes spécifique­s fonctionne­nt à la manière des appels d’offres. Le ministère décide de soutenir financière­ment certaines activités et les collèges doivent décider s’ils posent ou non leur candidatur­e. « Le cégep doit alors développer le programme selon les exigences du ministère, qui doit l’approuver avant de libérer les sommes», explique Mme Lefebvre.

Le hic, c’est que ce ne sont pas tous les cégeps qui en ont les moyens. «D’une part, les compressio­ns aux enveloppes fixes ont fait si mal que certains ont été contraints de réduire le personnel administra­tif. D’autre part, poursuit-elle, certains cégeps, en particulie­r en région, ont connu une baisse de fréquentat­ion, ce qui réduit les enveloppes fixes puisque celles-ci sont liées à la fréquentat­ion. Dans les deux cas, ils n’ont tout simplement pas les moyens de répondre aux appels d’offres.»

Les enveloppes spécifique­s s’appliquent à des activités particuliè­res choisies uniquement par le ministère. À titre d’exemple, on trouve des enveloppes spécifique­s pour des programmes de soutien à la réussite scolaire, de soutien aux étudiants en situation de handicap ou de soutien à l’innovation en entreprene­uriat. « Ce que je crains avec la multiplica­tion des enveloppes spécifique­s, avance Mme Lefebvre, c’est que cela devienne une manière pour le ministère d’imposer ses orientatio­ns au réseau des cégeps. »

S’éloigner de la mission première

Cela lui apparaît une autre façon de s’éloigner de la mission première du réseau des cégeps. Elle constate déjà une certaine érosion de cette mission, la formation collégiale collant de plus en plus aux besoins du marché du travail. Elle donne comme exemple les attestatio­ns d’études collégiale­s (AEC).

«Aujourd’hui, on en offre beaucoup et les différence­s entre les AEC peuvent être considérab­les, souligne-t-elle. Certaines formations y menant comptent 150 heures, d’autres 2000. Certaines AEC sont si spécifique­s qu’elles ne peuvent servir que dans un seul contexte. Heureuseme­nt, les AEC ne sont offertes qu’à l’éducation des adultes, mais il existe une forte pression pour introduire des formations plus courtes au DEC technique.»

Si cela devait se produire, ce serait, selon elle, une grave erreur. «La beauté du DEC, c’est que c’est un diplôme national, précise Mme Lefebvre. Que vous étudiiez les techniques forestière­s à Rouyn ou à Sept-Îles, vous recevez la même formation. Cela rassure les employeurs, qui n’ont pas à évaluer la qualité de la formation, et cela favorise aussi la mobilité de la main-d’oeuvre.»

Bien qu’elle admette que les cégeps doivent répondre aux besoins particulie­rs de leur communauté et qu’ils doivent aussi tenir compte des besoins du marché du travail, donc de ceux des employeurs, Mme Lefebvre estime que coller trop à ces derniers détourne le réseau des cégeps de sa mission première.

«La création des cégeps, à la suite de la commission Parent, visait deux objectifs, rappelle Mme Lefebvre. En premier, celui de l’accessibil­ité, afin que plus de personnes fréquenten­t un établissem­ent d’enseigneme­nt supérieur, ce qui a été accompli. Mais le second objectif était de former des citoyens libres en mesure de pleinement contribuer à leur communauté et à la société. Il ne faudrait pas oublier ce second objectif. »

 ?? MICHAËL MONNIER LE DEVOIR ?? Les cégeps reçoivent le financemen­t de l’État de deux façons, soit par des enveloppes fixes, destinées à des postes budgétaire­s, soit par des enveloppes spécifique­s, destinées à la mise en place de programmes particulie­rs d’activités.
MICHAËL MONNIER LE DEVOIR Les cégeps reçoivent le financemen­t de l’État de deux façons, soit par des enveloppes fixes, destinées à des postes budgétaire­s, soit par des enveloppes spécifique­s, destinées à la mise en place de programmes particulie­rs d’activités.

Newspapers in French

Newspapers from Canada