De l’ombre au tableau
Nicole Lefebvre, vice-présidente et responsable du regroupement cégep à la Fédération nationale des enseignantes et enseignants du Québec (FNEEQ), affiliée à la CSN, soulève quelques inquiétudes quant au financement et à la mission des cégeps.
D’abord, le réinvestissement financier consenti au réseau des cégeps par le présent gouvernement est à ses yeux nettement insuffisant. «À ce rythme-là, soutient-elle, ça va prendre une décennie pour revenir au niveau de financement que l’on avait avant les mesures d’austérité. »
Mais ce qui l’inquiète au premier chef est la façon dont ce réinvestissement se fait. Les cégeps reçoivent le financement de l’État de deux façons, soit par des enveloppes fixes, destinées à des postes budgétaires, comme les activités pédagogiques et les infrastructures, soit par des enveloppes spécifiques, destinées à la mise en place de programmes particuliers d’activités.
«Les compressions budgétaires se sont principalement concentrées sur les enveloppes fixes, souligne Mme Lefebvre, mais le réinvestissement, lui, nous arrive surtout par l’intermédiaire des enveloppes spécifiques. »
Cela pose problème à ses yeux. Les enveloppes spécifiques fonctionnent à la manière des appels d’offres. Le ministère décide de soutenir financièrement certaines activités et les collèges doivent décider s’ils posent ou non leur candidature. « Le cégep doit alors développer le programme selon les exigences du ministère, qui doit l’approuver avant de libérer les sommes», explique Mme Lefebvre.
Le hic, c’est que ce ne sont pas tous les cégeps qui en ont les moyens. «D’une part, les compressions aux enveloppes fixes ont fait si mal que certains ont été contraints de réduire le personnel administratif. D’autre part, poursuit-elle, certains cégeps, en particulier en région, ont connu une baisse de fréquentation, ce qui réduit les enveloppes fixes puisque celles-ci sont liées à la fréquentation. Dans les deux cas, ils n’ont tout simplement pas les moyens de répondre aux appels d’offres.»
Les enveloppes spécifiques s’appliquent à des activités particulières choisies uniquement par le ministère. À titre d’exemple, on trouve des enveloppes spécifiques pour des programmes de soutien à la réussite scolaire, de soutien aux étudiants en situation de handicap ou de soutien à l’innovation en entrepreneuriat. « Ce que je crains avec la multiplication des enveloppes spécifiques, avance Mme Lefebvre, c’est que cela devienne une manière pour le ministère d’imposer ses orientations au réseau des cégeps. »
S’éloigner de la mission première
Cela lui apparaît une autre façon de s’éloigner de la mission première du réseau des cégeps. Elle constate déjà une certaine érosion de cette mission, la formation collégiale collant de plus en plus aux besoins du marché du travail. Elle donne comme exemple les attestations d’études collégiales (AEC).
«Aujourd’hui, on en offre beaucoup et les différences entre les AEC peuvent être considérables, souligne-t-elle. Certaines formations y menant comptent 150 heures, d’autres 2000. Certaines AEC sont si spécifiques qu’elles ne peuvent servir que dans un seul contexte. Heureusement, les AEC ne sont offertes qu’à l’éducation des adultes, mais il existe une forte pression pour introduire des formations plus courtes au DEC technique.»
Si cela devait se produire, ce serait, selon elle, une grave erreur. «La beauté du DEC, c’est que c’est un diplôme national, précise Mme Lefebvre. Que vous étudiiez les techniques forestières à Rouyn ou à Sept-Îles, vous recevez la même formation. Cela rassure les employeurs, qui n’ont pas à évaluer la qualité de la formation, et cela favorise aussi la mobilité de la main-d’oeuvre.»
Bien qu’elle admette que les cégeps doivent répondre aux besoins particuliers de leur communauté et qu’ils doivent aussi tenir compte des besoins du marché du travail, donc de ceux des employeurs, Mme Lefebvre estime que coller trop à ces derniers détourne le réseau des cégeps de sa mission première.
«La création des cégeps, à la suite de la commission Parent, visait deux objectifs, rappelle Mme Lefebvre. En premier, celui de l’accessibilité, afin que plus de personnes fréquentent un établissement d’enseignement supérieur, ce qui a été accompli. Mais le second objectif était de former des citoyens libres en mesure de pleinement contribuer à leur communauté et à la société. Il ne faudrait pas oublier ce second objectif. »