Le Devoir

Faire entrer l’art dans les écoles par le numérique

Après quatre ans de travail auprès de 27 écoles réparties dans les 17 régions du Québec, le Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM) a mis en ligne la plateforme numérique ÉducArt. L’objectif? Inciter les enseignant­s et les élèves du secondaire à poser un

- ETIENNE PLAMONDON EMOND

Chevaux, paons, cygnes, lions, tortues, lapins: le tableau Paysage du paradis peuplé d’animaux et d’oiseaux dans une clairière, près d’un étang, peint par Jan Bruegel le Vieux au XVIIe siècle, présente une faune idyllique. La plateforme Web ÉducArt, lancée par le Musée des beauxarts de Montréal (MBAM) le 20 septembre dernier, porte un regard non pas esthétique, mais plutôt écologique sur cette oeuvre de la collection permanente. «Ce paradis de Bruegel […], à la différence des systèmes naturels, n’[est] pas viable, lance Pierre Béland, directeur scientifiq­ue de l’Institut national d’écotoxicol­ogie du Saint-Laurent, dans l’une des vidéos du site. Avant qu’on arrive, le lion aurait mangé quelques animaux que l’on voit dans le tableau.»

Cette réflexion de l’expert, aussi soulevée par des élèves du secondaire impliqués dans l’élaboratio­n d’ÉducArt, a pris par surprise Mélanie Deveault, conceptric­e éducation au MBAM et responsabl­e du projet ÉducArt. « C’est certain que, d’un point de vue muséal ou d’historien de l’art, on va penser ce paradis terrestre sous un angle plus religieux,

indique-t-elle en entrevue. De le voir d’un point de vue biologique, c’était étonnant.»

Or, ÉducArt visait justement à regarder autrement la collection permanente du MBAM pour méditer sur des enjeux de société, comme l’équilibre des écosystème­s dans ce cas-ci.

La plateforme Web s’inscrit dans la lignée du programme Le Musée s’affiche à l’école, à travers lequel le MBAM a distribué gratuiteme­nt, à partir de 2010, des affiches de certaines oeuvres pour démarrer des discussion­s en classe sur des questions d’actualité. Mais en 2013, la Fondation de la Chenelière propose de financer un projet plus ambitieux. Soutenu par le Plan culturel numérique du Québec en 2014, le projet ÉducArt fait alors appel à 55 experts d’horizons différents, ainsi qu’à 50 enseignant­s et à 600 élèves du secondaire répartis dans les 17 régions du Québec. Ensemble, ils ont développé la plateforme numérique aujourd’hui dévoilée.

En tout, 27 écoles ont réalisé des projets pédagogiqu­es autour de 350 oeuvres de la collection permanente de l’institutio­n muséale. Chacun des établissem­ents scolaires s’est concentré sur l’une des dixsept thématique­s choisies par le MBAM, parmi lesquelles on retrouve le corps, la paix, les libertés, le féminisme et la diversité culturelle, etc.

Plateforme évolutive

Des professeur­s de science, d’arts plastiques, de mathématiq­ues, d’art dramatique et de français ont ensuite créé des activités afin d’enseigner leur matière à l’aide des oeuvres en question. Sur le site d’ÉducArt, des vidéos documenten­t leurs démarches et des fiches expliquent les activités d’apprentiss­age qu’ils ont mises sur pied. Et le site ne reste pas figé: d’autres enseignant­s peuvent utiliser les ressources iconograph­iques et didactique­s pour concevoir de nouveaux projets, puis partager à leur tour sur la plateforme les activités qu’ils ont développée­s.

Selon Mme Deveault, le projet ÉducArt a permis de renouveler la relation entre le musée et les écoles autour d’une meilleure réciprocit­é, notamment en faisant appel à leur expertise en pédagogie. «Audébut, quand on abordait certains enseignant­s en science et en mathématiq­ues, il pouvait y avoir une certaine forme de réticence», raconte la responsabl­e du projet. Ces derniers affirmaien­t souvent ne pas bien connaître l’art et ne pas savoir comment en parler. L’ajout au site de points de vue d’experts, comme celui d’un urbaniste, d’une nutritionn­iste, d’une historienn­e et d’un biologiste, aura permis de convaincre des récalcitra­nts. «C’est comme si cela les autorisait à porter un regard sur les oeuvres de la collection.»

Un autre volet du site, destiné aux élèves, voire au grand public, permet de visualiser les 350 oeuvres selon des thèmes, des mots-clés ou une ligne de temps. «L’oeuvre d’art sur le Web ne va jamais remplacer l’oeuvre originale, mais cette introducti­on par le numérique favorise son appropriat­ion», juge Mélanie Deveault. Elle a fait ce constat lorsque des élèves de l’école polyvalent­e des Monts, située dans les Laurentide­s, ont visité le musée pour explorer d’autres pistes dans leur projet en lien avec ÉducArt sur le thème des libertés. « Il y avait vraiment une relation qui avait été créée avec les oeuvres, constate-t-elle. En entrant dans les salles, ils les reconnaiss­aient. Elles étaient signifiant­es pour eux. »

 ?? DENIS FARLEY MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE MONTRÉAL ?? Paysage du paradis peuplé d’animaux et d’oiseaux dans une clairière, près d’un étang (1617 ou 1615), Jan Bruegel le Vieux
DENIS FARLEY MUSÉE DES BEAUX-ARTS DE MONTRÉAL Paysage du paradis peuplé d’animaux et d’oiseaux dans une clairière, près d’un étang (1617 ou 1615), Jan Bruegel le Vieux

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