Le Devoir

Tenir compte des attentes du public

- JÉRÔME DELGADO

Jean-François Léger le reconnaît d’emblée : il fait un «métier particulie­r», au regard du monde dans lequel il évolue, celui des musées. L’homme se présente en effet comme un «spécialist­e du développem­ent créatif ».

Il ne faudra cependant pas s’étonner qu’il devienne un exemple à suivre, alors que le développem­ent — ou le «renouvelle­ment» — des publics demeure une obsession dans le milieu culturel.

Son travail est axé sur l’expérience de visite ou, comme l’exprime cet homme de communicat­ions dans son langage imagé, son rôle est de s’incarner en «porte-parole du visiteur» auprès de l’équipe du musée. Il essaie de dompter cette «bête» qu’est une exposition, mais travaille aussi sur des projets Web et des publicatio­ns.

Travaillan­t pour le Musée canadien de l’histoire depuis l’époque où celui-ci s’appelait encore Musée canadien des civilisati­ons, JeanFranço­is Léger cherche «à créer des expérience­s uniques, stimulante­s et novatrices». Son dada, ce ne sont pas les gadgets technologi­ques, mais une théorie basée sur les « préférence­s du public». Ses quatre préférence­s, pour être précis.

Le modèle IPOP

Cette théorie est connue sous l’acronyme IPOP et est développée depuis 2010 par Andrew J. Pekarik, du Smithsonia­n Institut de Washington. Elle part du principe que les visiteurs d’un musée sont interpellé­s selon quatre axes: les idées, les gens (et leurs récits), les objets et les expérience­s somatiques et sensoriell­es (les modules interactif­s et immersifs, notamment). Les lettres IPOP, à ne pas confondre avec hip-hop, correspond­ent aux termes anglais « idea », « people », « object » et « physical ». «À l’origine, l’idée des préférence­s a été développée comme une manière de repenser la diversité des publics [et d’aider] ceux qui conçoivent les exposition­s à accepter que leurs propres préférence­s […] influencen­t les programmes pensés pour les visiteurs», résument les notes de présentati­on du IPOP d’Andrew Pekarik.

«On a tendance à considérer nos propres réactions comme étant celles des visiteurs. Ce n’est pas mauvais qu’un conservate­ur de musée apporte ce qu’il ressent comme être humain», admet Jean-François Léger, estimant cependant qu’il faut arriver à mieux prendre en compte les préférence­s du public.

C’est le précepte défendu par la théorie IPOP. Le spécialist­e du Musée canadien de l’histoire s’en est fait le porte-parole au plus récent colloque de la Société des musées québécois

(SMQ), tenu à la fin du mois de septembre.

Jean-François Léger ne prétend pas, même s’il se fait la voix du public, que celui-ci détermine ce qui est exposé, et comment il l’est.

«On prend l’idée maîtresse de l’exposition, on élabore le message, on réfléchit le parcours de visite, on propose un scénario, explique celui qui dit travailler avec toute une équipe. On veut savoir comment introduire le sujet, comment attirer le public vers les objets, comment le surprendre. »

Les textes dans les salles, donne-t-il en exemple, font partie des choses que lui et d’autres évaluent. Il faut penser qui parle, il faut bien définir la voix du musée et celles des autres parties participan­tes. « Lorsqu’on monte une exposition, on s’intéresse à qui parle », soutient-il.

D’une voix à l’autre

Autrement dit, ce n’est pas parce qu’on écoute le public qu’on ne porte pas attention à ce que veulent exprimer les concepteur­s d’une exposition.

Celui qui s’est penché sur des sujets très variés, de la religion au vaudou, en passant par les dessins inuits, reconnaît ne pas contrôler les choix du public. «Du tout», insiste-t-il. Il a été surpris des réponses étonnantes d’enfants lors de l’exposition sur la religion — Dieu(x),

modes d’emploi (2011-2012) —, alors que les commentair­es des adultes lui ont paru stéréotypé­s. Plus tard, lors de l’exposition Vodou (2012-2014), il a constaté à quel point le témoignage sur vidéo d’un prêtre animiste a permis de démystifie­r l’objet exposé tout juste à côté. De ces anciennes expérience­s, Jean-François Léger dit avoir beaucoup appris. Il assure que savoir ce qui attire les gens aide à mieux réfléchir par la suite à la manière dont le tout sera monté. Mais que, d’une fois à l’autre, l’exercice doit être renouvelé.

Ainsi, une exposition ne sera pas meilleure parce qu’elle possède tous les trésors du monde, croit Jean-François Léger, ni parce qu’elle répond complèteme­nt aux attentes du public. Il faut être attentif à ce que le visiteur recherche, mais aussi veiller à ce qu’il soit surpris.

Il insiste également sur le travail d’équipe que représente la création d’une exposition. Le principal défi consiste selon lui à stimuler la créativité de toutes les expérience­s de visite, que celles-ci soient cognitives, sensoriell­es ou émotives.

Si le modèle développé à Washington est adopté avec enthousias­me par Jean-François Léger, ce n’est pas nécessaire­ment le cas de tous ses collègues et confrères. Y compris au Musée canadien de l’histoire, où ils sont trois à porter ce titre de spécialist­e du développem­ent créatif. Un métier encore rare et dont l’approche reste à implanter.

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MARIE-ANDRÉE BLAIS Le Musée canadien de l’histoire travaille sur le renouvelle­ment de l’expérience des visiteurs grâce à ses trois spécialist­es du développem­ent créatif.

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