Le Devoir

Être communiste au Québec après 1917

Il faudra attendre 1943 pour voir l’élection d’un premier député communiste

- JEAN-FRANÇOIS NADEAU

Nous sommes en 1917. À Moscou, le tsar est tombé. Lénine et les siens, des internatio­nalistes, risquent-ils d’organiser une révolution mondiale? Les chanceller­ies du monde, affolées de ce changement de cap qui pourrait les toucher, décident de se mêler de cette guerre civile dans l’espoir de contribuer à rétablir l’ordre ancien. Des contingent­s des États-Unis, de France, du Royaume-Uni, de Serbie, de Finlande, de Roumanie, de Turquie, de Grèce, du Japon et du Canada se portent à la défense des Russes blancs, les fidèles du tsar.

Parmi les Canadiens partis batailler en Russie, on trouve Antoine Rivard, futur ministre et solliciteu­r général du gouverneme­nt anticommun­iste de Maurice Duplessis. Il débarque à Vladivosto­k avec le

259e Bataillon canadien, arme à la main. L’échec de cet engagement militaire l’a fait oublier, affirme l’historien Benjamin Isitt.

Lorsqu’au printemps 1919, le révolution­naire Léon Trotski tente, depuis New York, de regagner la Russie en passant par le Canada, il y est arrêté et emprisonné.

En raison de la répression institutio­nnelle dont est l’objet un tel mouvement, plusieurs informatio­ns manquent. Si bien que les historiens éprouvent du mal à retrouver, au Québec et au Canada, les traces de l’adhésion au communisme après la Révolution de 1917.

Il existe déjà au Québec, avant la guerre de 1914, plusieurs groupes socialiste­s. Ils ne sont pas étrangers au rayonnemen­t des enseigneme­nts de Marx au sujet de l’exploitati­on ouvrière. En 1871, les moins de 16 ans forment 40% de la main-d’oeuvre au Québec. Ce n’est qu’en 1907 que le gouverneme­nt du Québec interdit le travail aux moins de 14 ans. En 1941 encore, près de la moitié des jeunes du Canada qui ne fréquenten­t pas l’école viennent du Québec.

Devant des conditions de travail pitoyables, les ouvriers s’organisent comme ils peuvent. Ce n’est qu’en 1921 qu’un Parti communiste canadien voit le jour. Son succès demeure faible. À la différence des États-Unis ou du reste du Canada, la pénétratio­n du mouvement communiste au Québec après apparaît plus lente. L’Église, notamment, fait paravent. Aussi le mouvement communiste attire-t-il à lui beaucoup d’immigrants épris de solidarité envers des travailleu­rs issus d’un même horizon de misère.

Il faut attendre 1926 pour qu’un premier militant communiste au Québec se porte candidat aux élections. Ce sera Michael Buhay, dans la circonscri­ption de Cartier, au coeur de Montréal, là même où, en 1943, à la faveur d’une élection partielle, Fred Rose sera le premier communiste élu à Ottawa. Rose, un électricie­n, sera à nouveau élu lors de l’élection générale de 1945, avant qu’on lui fasse un procès pour espionnage dont les contours restent à ce jour nébuleux.

Au nombre des jeunes militants politiques à l’époque sympathiqu­es à Fred Rose, on trouve Jacques Parizeau. Dans Fred Rose, un Canadien errant, un film signé en 2002 par Francine Pelletier, Parizeau dit : « J’ai travaillé pour ceux qui travaillai­ent pour ceux qui travaillai­ent pour Fred Rose. » Jacques Parizeau explique qu’une figure aussi improbable que lui, un bourgeois de naissance, n’était pas la bienvenue chez les communiste­s.

Au début des années 1920, le mouvement communiste au Québec mise beaucoup sur l’éducation populaire. Il parle des réalités de l’exploitati­on aux ouvriers. À Montréal, on trouve le Labor College, une sorte de club ouvrier comme on en trouve en Europe et où se réunit un Comité d’aide à l’URSS, ce nouveau pays dont le nom ne renvoie pas exactement à un territoire, mais à une nouvelle conception du monde.

Au Labor College, deux femmes jouent un rôle majeur: Annie Buller et Bella Gauld. Ces deux militantes d’institutio­ns de charité ont abandonné l’univers libéral dans lequel elles baignaient pour adhérer à un idéal communiste, plus susceptibl­e selon elles de changer vraiment la société. Et les voilà qui offrent des cours d’économie, d’histoire et de culture générale, dans une perspectiv­e de luttes des classes.

Quelle place jouent les femmes dans la constituti­on initiale de ce mouvement au Québec? En Abitibi, en 1933, Jeanne Corbin, une militante communiste, soutient la grève de bûcherons. Dans leurs cabanes de bois, véritables repères des poux et de la misère, les autorités qui procèdent à des arrestatio­ns trouvent des portraits de Karl Marx. Jeanne Corbin sera condamnée à trois mois de prison. L’historienn­e Andrée Lévesque lui a consacré un livre. Il en faudrait sans doute un aussi pour mieux comprendre le parcours de Léa Roback: en 1937, cette communiste structure une grève de milliers de femmes pour améliorer leurs conditions. Elles travaillen­t jusqu’à 80 heures par semaine dans les usines de couture de Montréal pour des salaires qui ne dépassent pas 12,50 $.

Le plus célèbre des militants communiste­s au Québec reste Norman Bethune. Inventeur d’instrument­s de chirurgie encore utilisés aujourd’hui, ce médecin exerce son action pour les plus démunis. Il va notamment plaider auprès du gouverneme­nt du Québec pour la mise en place d’un système de soins de santé pour tous.

Dans l’Espagne déchirée par la guerre civile, Bethune organise une unité mobile de transfusio­n sanguine. L’Espagne de Franco qu’il combat fait corps avec le régime d’Hitler. Quand en juin 1937 Bethune tient à Montréal une assemblée publique ouvertemen­t favorable aux communiste­s espagnols, quelque 9000 personnes répondent à son appel et l’applaudiss­ent.

En avril 1937, l’écrivain André Malraux fera lui aussi une brève visite à Montréal pour plaider en faveur de ses camarades espagnols. Malraux souligne à cette occasion l’importance de Bethune. Le poing fermé, il salue la foule. De son souvenir à Montréal, l’écrivain conserve celui d’un vieil ouvrier canadien-français qui, s’avançant vers lui à la fin de la soirée, lui donna sa montre en or, pour ainsi dire sa seule richesse, afin d’aider les camarades espagnols.

En 1937 toujours, Duplessis fait adopter sa loi dite du cadenas. Elle permet d’interdire toute activité de gauche jugée subversive. Mais durant la Seconde Guerre mondiale, le ton à l’égard des communiste­s va s’adoucir: le Canada est alors l’allié de l’URSS. À Montréal, les usines fabriquent même des tanks destinés à ce Staline dont les crimes ne sont pas encore largement dénoncés.

Quelle espace tient alors le communisme dans les conscience­s? La question reste complexe. En entrevue devant la caméra de Francine Pelletier, l’ex-premier ministre Jacques Parizeau résumait: «J’aurais volontiers rejoint le Parti communiste. Si vous aviez une conscience sociale, vous vouliez être du côté des communiste­s.»

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MLADEN ANTONOV AGENCE FRANCE-PRESSE Une sculpture de Lénine, fondateur de l’URSS. Ce 25 octobre marque le 100e anniversai­re de la révolution russe.

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