Les Québécois préfèrent les Trudeau
Après un mois particulièrement houleux pour les libéraux de Justin Trudeau, l’élection complémentaire de lundi dans la circonscription de Lac-Saint-Jean risquait d’ajouter aux malheurs d’un gouvernement à mi-mandat qui semblait en perte de vitesse. Mais la victoire éclatante du candidat libéral dans ce berceau du nationalisme québécois vient encore une fois de contredire tous ceux qui sous-estimaient le pouvoir de séduction du fils de Pierre Trudeau.
Malgré un taux de participation de seulement 41%, quatre fois plus d’électeurs de LacSaint-Jean ont voté libéral lundi que lors de l’élection fédérale de 2011, quand le score du candidat du PLC (alors sous le leadership de Michael Ignatieff) tournait autour des 4%. Avec 38,6 % des votes, on ne peut pas parler d’un balayage du candidat libéral Richard Hébert. Mais il s’agit quand même d’un revers symbolique pour tous les partis d’opposition. Ils avaient beau souligner les faiblesses du gouvernement, surtout en ce qui concerne le conflit avec les États-Unis dans le dossier du bois d’oeuvre et son plan hasardeux de légaliser la marijuana, leurs critiques ne collaient pas au premier ministre vedette.
Comme l’avait dit à Radio-Canada une électrice de Dolbeau-Mistassini, en apprenant que M. Trudeau allait visiter la circonscription la semaine dernière: «Je vais le guetter… Il est pas
mal cute .» Sur une note plus sérieuse, et sans doute exaspérante pour les souverainistes, le député libéral Pablo Rodriguez avait prédit qu’une victoire de son parti dans Lac-Saint-Jean «voudrait dire que ce que l’on fait correspond aux souhaits et aux aspirations des Québécois».
Qui l’aurait cru? Le rapatriement de la Constitution canadienne sans l’appui du gouvernement du Québec par le père de Justin Trudeau a peut-être laissé un goût amer chez les Québécois, l’amertume s’est diluée avec le temps. Pour la génération née depuis l’adoption de la Charte canadienne des droits, elle n’a jamais existé. Justin Trudeau, qui auparavant avait exprimé le même mépris que son père envers les nationalistes québécois, a trouvé l’astuce pour le faire oublier. Il n’en parle simplement plus. Même quand il a finalement concédé que le Québec est une nation, ce qu’il avait longtemps nié, M. Trudeau a vite diminué l’importance de cette concession de sa part. «Le Canada est une nation; le Québec est une nation, a-t-il dit en 2016. Je ne peux pas croire qu’on est encore en train de parler de ça, quand on a besoin d’investissements en infrastructures, en eaux usées, en transport collectif. Les Québécois veulent qu’on ait des gouvernements qui travaillent ensemble pour bâtir un meilleur avenir, pour créer des emplois. Et c’est exactement ce que nous sommes en train de faire. »
Et cela fonctionne. L’adoption du projet de loi 62 sur la neutralité religieuse a mis M. Trudeau devant le choix de répudier cette législation et d’appuyer sa contestation en cour, comme l’avait réclamé la base libérale au Canada anglais, ou de ménager le gouvernement de Philippe Couillard. Il a manifestement choisi cette dernière stratégie. Même après avoir été vivement critiqué par les éditorialistes du Canada anglais pour avoir refusé de dénoncer la démarche québécoise, M. Trudeau s’est limité à dire: « On va voir si ce qui
est proposé a un impact sur les gens.» Après l’intervention hier de la ministre québécoise de la Justice, Stéphanie Vallée, qui semblait vouloir minimiser la portée de cette loi, M. Trudeau n’aurait plus rien à dire.
Avec l’indexation de l’allocation canadienne pour enfants à partir de juillet prochain, plutôt qu’en 2020, annoncée dans sa mise à jour économique de mardi, le gouvernement Trudeau peut espérer reprendre le contrôle de l’ordre du jour politique qu’il semblait avoir perdu ces dernières semaines. Depuis son élection, son gouvernement ne cesse de répéter qu’il a les intérêts de la classe moyenne canadienne à coeur. Les bavures de certains de ses ministres ont peut-être nui à ce message ces derniers temps — la révélation que son riche ministre des Finances n’avait pas mis ses actifs dans une fiducie sans droit de regard fut en ce sens dévastatrice — mais la faiblesse de l’opposition fait en sorte que les conséquences politiques risquent d’être limitées pour M. Trudeau.
Le nouveau chef conservateur, Andrew Scheer, ne s’implante simplement pas dans l’esprit public, même si la base conservatrice, qui se situe autour de 30 % de l’électorat, reste intacte. Pour le nouveau chef néodémocrate, Jagmeet Singh, le résultat catastrophique de la candidate du NPD dans Lac-Saint-Jean annonce une longue pente à remonter au Québec. Sa tentative de courtiser les nationalistes ne lui a pas apporté grand-chose lors de cette élection complémentaire. Mais ce geste a réussi à froisser les leaders d’opinion au Canada anglais. Quant au Bloc québécois, la déception doit être totale. Même avec l’appui du puissant syndicat de Rio Tinto Alcan, le candidat bloquiste a dû se contenter de la troisième place.
Parce que même dans ce fief nationaliste, comme presque partout au Québec, c’est un Trudeau qui fait vibrer les électeurs.