Cour suprême : les libéraux voteront contre l’exigence du bilinguisme
Le projet de loi du NPD qui exigerait le bilinguisme des futurs juges à la Cour suprême sera voté ce soir par la Chambre des communes et tout indique qu’une fois de plus, il y sera défait.
Une majorité de libéraux s’opposeront en effet à ce projet de loi, estimant que l’imposition d’un tel critère nécessite une modification constitutionnelle.
L’avocat qui a fait invalider la nomination de Marc Nadon à la Cour suprême au nom du respect de la Constitution, cause dont s’inspirent les libéraux pour arriver à leur conclusion, leur donne raison.
Le projet de loi C-203 du néodémocrate François Choquette modifie la Loi sur la Cour suprême en ajoutant aux conditions de nomination que les personnes retenues « comprennent le français et l’anglais sans l’aide d’un interprète ». Il est identique à son incarnation précédente, le C-232, que les libéraux avaient appuyée en 2010 alors qu’ils étaient dans l’opposition.
Le projet de loi n’avait finalement pas été achevé avant l’élection. Cette foisci, une majorité de libéraux devraient voter contre, même si le vote sera libre.
«Il serait peu judicieux et malvenu, dans les circonstances, d’adopter le projet de loi C-203 à cette étape-ci, à la lumière des préoccupations constitutionnelles légitimes que son adoption pourrait soulever», a déclaré le libéral Marco Mendicino au moment du débat en mars dernier. Il parlait au nom de la ministre de la Justice. Il prédisait que le C-203 pourrait « provoquer une controverse inutile» et «donner lieu à des contestations très longues».
L’affaire Nadon
C’est que depuis le vote sur C-232, il y a eu la cause Marc Nadon, ce magistrat fédéral que Stephen Harper avait tenté de nommer à la Cour suprême du Canada à titre de juge québécois.
Pour s’assurer de la légalité de la nomination, le gouvernement avait rétroactivement modifié la Loi sur la Cour suprême pour autoriser une telle nomination. L’avocat torontois Rocco Galati a contesté le geste, arguant qu’Ottawa n’avait pas le droit de modifier la Loi sans l’aval des provinces. Il a gagné sa cause.
En entrevue avec Le Devoir, Rocco Galati estime que le changement proposé par le NPD est de même nature. «Vous ne pouvez pas faire ce changement sans modifier la Constitution », assure-t-il.
Selon lui, un tel changement doit obtenir l’aval d’au moins sept provinces représentant 50 % de la population canadienne. «Le gouvernement a raison.»
Opinion contraire
Le professeur de droit de l’Université d’Ottawa Sébastien Grammond pense le contraire. Mais prenant acte des divergences de points de vue, il suggère à Ottawa de renvoyer la question à la Cour suprême pour obtenir un avis définitif.
Les libéraux plaident que tout ceci n’est pas nécessaire puisqu’ils se sont engagés à ne nommer au plus haut tribunal du pays que des juges bilingues. La première nomination de Trudeau a respecté ce critère.
Le parrain du projet de loi, le député François Choquette, se désole que la peur de contestations judiciaires empêche un gouvernement de faire la bonne chose. «Quand ce n’est pas encadré dans une loi, il n’y a pas de garantie de pérennité. Ça peut changer dans un claquement de doigts, notamment lors de changements de gouvernement.»
Chez les conservateurs, le vote sera libre, mais on s’oppose en général au projet de loi pour des raisons de principes. «Je ne vois pas vraiment quel problème le projet de loi vise à régler», a déclaré Garnett Genuis lors du débat de mars.
Selon lui, les services d’interprétation sont suffisants pour combler les lacunes linguistiques éventuelles d’un juge. «On réduirait considérablement le bassin de candidats en obligeant le gouvernement à tenir compte de ce critère de nomination », a plaidé le député Genuis.
Le professeur Grammond avait en 2010 plaidé en français une cause devant la Cour suprême. Il a lu par la suite la version anglaise de son plaidoyer faite par les interprètes et y a déniché cinq erreurs de sens, dont un argument contraire à celui qu’il avait fait ! C’est la preuve, à son avis, que les ser vices d’interprétation ne sont pas suffisants.
Les libéraux estiment que l’imposition d’un tel critère nécessite un changement constitutionnel