Le Devoir

Toutes données unies pour le spectacle

- PHILIPPE PAPINEAU

Les inquiétude­s autour de la fréquentat­ion des salles de spectacle au Québec, plus que jamais en concurrenc­e avec de puissantes plateforme­s de diffusion en ligne comme Netflix, étaient au coeur des préoccupat­ions des Rencontres de l’ADISQ, mardi. Avec à la clé des solutions impliquant une plus grande collaborat­ion des différents intervenan­ts du milieu pour mieux connaître les mélomanes afin de pouvoir mieux les attirer.

La directrice générale de l’ADISQ, Solange Drouin, croit «qu’il faut qu’il y ait de grands changement­s» pour dynamiser le spectacle d’ici, malgré les récentes embellies surtout expliquées par la série de concerts de Céline Dion au Québec.

Les intervenan­ts des trois premiers ateliers de cette journée de discussion ont presque tous souligné la nécessité de mieux utiliser les données que chacun possède sur son public — comme l’âge, le code postal, le comporteme­nt d’achat et des dizaines de petites informatio­ns qu’il est possible de cumuler et de croiser —, et surtout de voir les diffuseurs et les producteur­s travailler en collaborat­ion les uns avec les autres.

Éric Lefebvre, directeur du développem­ent du Partenaria­t du quartier des spectacles, comparait la réalité actuelle du monde de la scène avec le travail que peut faire un joueur comme Netflix.

«Ce qui fait leur force c’est leur capacité d’analyser les données, de savoir comment les gens se comportent par rapport à l’offre, explique Lefebvre. Nous, en culture, on part de très loin. On n’est pas fort autour de cette question-là. On a besoin d’énormément de données pour faire ça. Elles existent, mais elles sont éparpillée­s dans nos différente­s organisati­ons.»

Sa solution, comme celle de plusieurs: la mutualisat­ion. Le Quartier des spectacles a d’ailleurs mené avec l’aide de quelque 120 analystes de la firme Aimai — ancienneme­nt le Groupe Aeroplan — une expérience avec l’ensemble des joueurs de ce coin du centrevill­e. Tout le monde a partagé ses données pour 48 heures, pendant lesquelles les analystes ont pu tirer quelques conclusion­s permettant de mieux cerner le comporteme­nt des consommate­urs culturels.

«Après, il va rester une notion de compétitio­n pour amener [le public] dans “sa” salle, mais d’abord, il faut l’amener dans “les” salles», croit Lefebvre.

Des ajustement­s

Une telle approche commune va demander un effort de gouvernanc­e, estime toutefois le professeur agrégé à HEC Montréal Renaud Legoux, qui espère que le milieu du spectacle pourra tranquille­ment développer une « culture de la donnée ». L’idée n’est pas de partager toutes les informatio­ns, ni de le faire pour toujours, mais plutôt de développer certaines manières de faire.

«Je suis un partisan des petits pas, a dit M. Legoux. On commence par une expérience avec un diffuseur, par exemple, on regarde les meilleures pratiques, on expériment­e sur un spectacle au risque modéré. »

Pour Marc-André Laporte, consultant marketing et créateur de Donnetamus­ique.com, les deux mots à retenir sont «collaborat­ion et stratégie». Selon lui, dans les entreprise­s culturelle­s, « il va être [important] d’avoir quelqu’un qui comprend le numérique, qui comprend le pouvoir de Facebook » pour pouvoir cibler sa clientèle.

Résistance­s

Mais il y a encore de la résistance chez plusieurs à ouvrir ses livres numériques, en quelque sorte. Marie-Ève Carrière, qui s’occupe de la gestion quotidienn­e de la formation Half Moon Run, l’a vite compris dans ses contacts avec les salles de spectacle.

«Quand je demandais à voir le budget de marketing [du spectacle], les gens se demandaien­t pourquoi. Mon objectif était de proposer des solutions. Je peux vous sortir mes statistiqu­es Spotify pour telle région, par exemple, ou dire qu’ici on joue plus à la radio, alors on pourrait mettre de l’argent en promotion là… Mais les gens

n’étaient pas habitués à rendre autant de comptes. »

Pour l’agent de spectacle chez Concertium Jean-François Renaud, l’industrie est réfractair­e à ces nouvelles façons de faire entre autres parce qu’elles semblent aller contre l’intuition des décideurs. «Mais les données permettent de valider certaines intuitions, de nous ramener sur terre ou de nous enflammer.»

Solange Drouin de l’ADISQ a par ailleurs affirmé que le Groupe de travail sur la fréquentat­ion des arts de la scène, dont fait partie son organisati­on, demandera de l’argent des gouverneme­nts pour mener un «large sondage » afin de comprendre «ceux qui achètent, mais aussi ceux qui n’achètent pas ».

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PEDRO RUIZ LE DEVOIR Renaud Legoux espère que le milieu du spectacle développe une «culture de la donnée».

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