Sourires moqueurs et silences gênés au Vermont
Qu’est-ce que l’ère Trump change chez ce si proche voisin qu’est le Vermont? Fief démocrate, château fort du sénateur socialiste Bernie Sanders, le Vermont n’en est pas moins, lui aussi, plongé dans l’ère Trump. Mais sans qu’il y paraisse trop, il faut dire.
Long de 51km, le lac Memphrémagog prend ses aises de Magog, du côté québécois, jusqu’à Newport au Vermont. Mais Newport n’est plus que l’ombre de ce qu’elle fut. En 2015, la promesse d’un développement immobilier, portée sur les ailes d’un programme fédéral, l’a convaincue de laisser raser une partie de son centre-ville. Mais le projet n’a finalement jamais vu jour, en raison de malversations immobilières qui ont touché plusieurs villes du Vermont. Et depuis? « Rien », dit, dépitée, Laura Dolgin, la directrice générale de la ville de Newport. «Il n’y a pas d’argent ou d’aide qui sont venus, malgré les promesses de Trump.»
Dans cet État longtemps acquis aux démocrates, la plupart des petites villes et villages qui bordent la frontière canadienne ont penché du côté de Donald Trump il y a un an. Newport, ville du nord du Vermont, appartient à
une couronne de pauvreté. Dans cette petite localité, truffée d’affiches favorables à Donald Trump lors de la campagne présidentielle de 2016, le rutilant milliardaire a obtenu la faveur de plus de 52 % des voix. Aujourd’hui, il ne reste plus que quelques affiches, plantées çà et là devant les maisons.
«Ça n’a pas changé avec le nouveau gouvernement fédéral», résume Mme Dolgin. «Ici, nous n’avons vu aucune différence, aucune forme de soutien. L’arrivée de Trump, dit-elle, a peut-être provoqué des changements pour une seule entreprise des environs: Revision Military.» En effet, avec une usine installée à Essex (le seul comté arraché au Parti démocrate par Trump) et une autre à deux pas de Newport, Revision Military fabrique des casques et des lunettes pour l’armée américaine. «C’est un des plus importants employeurs d’ici. Ils ont obtenu un gros contrat.»
Les stationnements de Revision Military sont en tout cas bondés. Parmi les véhicules de ses employés, on note plusieurs 4x4 tout blancs. Impossible d’aller plus loin que l’accueil, où se trouve un présentoir de casques militaires planté à côté d’un drapeau américain et d’un miroir, pour qui voudrait s’admirer portant un tel couvre-chef kaki. Mais personne n’est autorisé à parler à un journaliste. Et il est inutile de questionner les employés… Dans le bourdonnement général des lieux, les affaires vont à l’évidence bon train.
Trumpistes discrets à Montpelier
Située plus au sud, la ville de Montpelier, avec ses 7500 habitants, est la plus petite capitale d’un État américain. Les représentants de l’État siègent sous le grand dôme doré d’un capitole néoclassique très imposant, visible de tous les coins de la ville.
À Montpelier, la firme d’avocats de Keith Aten loge en principe dans le même édifice que les bureaux des républicains. Je cogne à sa porte, faute de les y trouver. « Suivez-moi, me dit Keith Aten. Je crois qu’ils sont désormais installés de l’autre côté de la rue.» Mais ils n’y sont pas davantage. L’avocat en fait une affaire personnelle, téléphone partout et m’accompagne à pied, ici et là, pour tirer au clair cette curieuse affaire. Nulle trace des républicains! Notre quête provoque un sourire narquois chez ceux que nous interrogeons. «À Montpelier, dit Jane Briffs, installée au milieu de sa boutique de laines vierges, un républicain a avantage à baisser la tête et à passer inaperçu…» Dans la capitale bleu foncé, Hillary Clinton a battu l’an dernier son rival par 70 points d’avance et s’est attiré le vote de 65 % des électeurs du comté.
Non sans avoir beaucoup cherché, nous rentrons finalement bredouilles. Keith Aten prend le parti d’en rire. Après tout, le gouverneur de l’État, Phil Scott, n’est-il pas un républicain? « Scott ne serait pas considéré comme un républicain n’importe où ailleurs!» assure l’avocat.
Les républicains, règle générale, se font donc maintenant plus que discrets au Vermont, encore porté par le vent de fond socialiste incarné par le sénateur Bernie Sanders. Ailleurs qu’au Vermont, des élus républicains pourraient pourtant être considérés comme des hérétiques, du moins selon les standards guerroyants du nouveau gouvernement Trump.
C’est pourtant à Montpelier que fut organisée la campagne de Donald Trump au Vermont par Darcie L. Johnston, une des têtes d’affiche des Vermonters for Health Care Freedom, un groupe opposé à la prise en charge de la santé publique par l’État. Pendant des années, Mme Johnston avait lutté contre le principe d’une allocation d’aide universelle pour les soins de santé, défendu notamment par le gouverneur précédent, le démocrate Peter Shumlin.
«Les gens ont le droit de choisir» leurs soins de santé, avait-elle dit l’an passé, en pleine campagne présidentielle. Qu’est-elle devenue depuis ? « Je travaille pour le gouvernement Trump », me dit-elle. Quatre jours après l’assermentation présidentielle en janvier 2017, elle a été nommée «assistante spéciale» du Deparment of Health and Human Services, devenant l’une des 400 têtes de pont installées par le gouvernemment Trump pour opérer un grand débarquement d’idées à Washington.
Comme ses semblables à Washington, son emploi, officiellement «temporaire», n’a pas eu à être approuvé par des audiences publiques préalables. Avec un salaire de 88 000$ par année, Mme Johnston se trouve désormais en position de contribuer à la déréglementation d’un secteur, comme elle l’a toujours souhaité. Peuton en parler ? « Je ne donne pas d’entrevues », ditelle.
Car l’heure est à éviter l’impression d’une division au sein du Grand Old Party (GOP). Mardi dernier, la sortie accusatrice du sénateur républicain en fin de mandat, Jeff Flake, contre son déroutant président, qu’il qualifie de « téméraire, scandaleux et indigne », a rendu encore plus frileux ceux qui craignaient déjà de parler librement.
Même Paul Lefebvre, élu républicain du comté vermontois de Caledonia, qui fut journaliste et chroniqueur presque toute sa vie pour un journal local, se fait discret. Malgré son nom, l’élu — qui ne parle pas français — jase d’abondance de son comté, mais se terre dans le mutisme dès qu’il est question de l’effet Donald Trump. Un an après la victoire du président aux saillies imprévisibles, plus qu’autrement, la seule évocation du nom Trump provoque maintenant au Vermont soit un sourire narquois, soit un silence un peu gêné.