L’homme blanc hétéro n’est plus seul en scène
Les films de science-fiction, une affaire de gars ou pas? Si l’on appliquait le test de Bechdel — Y a-t-il au moins deux personnages féminins dont on connaît le nom ? Se parlent-elles ? Parlent-elles d’autre chose que des hommes? —, la majorité y échouerait.
De fait, sur la liste des 92 films ayant réussi le test, établie par le site français Sens critique, rares sont les films de science-fiction. Y figurent sans surprise Alien, le huitième passager
(1979), de Ridley Scott, Aliens, le retour (1986), de James Cameron, et, étonnamment, Starship Troopers (1997), nanar de Paul Verhoeven.
Bien que l’on doive le premier grand roman de science-fiction à une femme, Frankenstein ou le Prométhée moderne, écrit par Mary Shelley en 1816 et moult fois adapté au grand écran, le cinéma de science-fiction semble conçu par des hommes, pour des hommes.
Ainsi, on se rappelle davantage les tenues sexy de Jane Fonda dans Barbarella (1968), de Roger Vadim, de Leeloo (Mila Jovovich) dans Le cinquième élément (1997), de Luc Besson, et de Trinity (Carrie-Anne Moss) dans La matrice, des soeurs (naguère frères) Wachowski, que leurs exploits héroïques.
Force féminine
Aux côtés des mères, femmes ou filles de, des jolies assistantes ou capiteuses intrigantes, rares sont les personnages féminins se démarquant par leur force de caractère, leur intellect, leur leadership ou leur habilité au combat.
En 1927, le cinéaste allemand Fritz Lang met en scène dans Metropolis un robot créé par un savant fou (Rudolf Klein-Rogge) à l’image d’une ouvrière charismatique, Maria (Brigitte Helm), lequel mènera à la révolution les employés d’une usine. Pour ainsi dire, Lang annonçait les réplicants rebelles de Blade Runner (1982), de Ridley Scott, et Ava (Alicia Vikander), l’héroïne androïde d’Ex Machina (2014), d’Alex Garland.
Cinquante ans plus tard, les fillettes découvrent avec bonheur une princesse n’ayant rien d’une Cendrillon dans La guerre des étoiles (1977), de George Lucas. Maniant les armes aussi bien que Luke Skywalker (Mark Hamill) et Han Solo (Harrison Ford), la princesse Leia (Carrie Fisher) ne s’en laisse pas imposer par Darth Vader (David Prowse), l’un des plus sombres vilains du cinéma américain.
Si Leia contribue à l’éveil sexuel des garçons dans son bikini doré, enchaînée aux côtés du hideux Jabba the Hutt dans Le retour du Jedi (1983), de Richard Marquand, cela ne l’empêche pas de devenir générale dans le septième épisode de la saga. Fille de la courageuse Padmé (Natalie Portman), Leia a pour dauphines spirituelles les non moins téméraires Rey (Daisy Ridley) du Réveil de la Force (2015), de J. J. Abrams, et Gyn (Felicity Jones) de Rogue One (2016), de Gareth Edwards.
En 1979, Sigourney Weaver incarne Ripley dans Alien — rôle qu’elle reprend dans Aliens, le retour, Alien 3 (1992), de David Fincher, et Alien, la résurrection (1997), de Jean-Pierre Jeunet. Si on la voit souvent en sous-vêtement au cours de la saga, elle est tout de même la seule survivante du Nostromo et fait passer d’horribles quarts d’heure aux effroyables créatures qu’elle croise. Comme survival girl, on ne fait guère mieux.
Dans Stranger Things (2016), série grouillant de clins d’oeil au cinéma des années 1980 de Matt et Ross Duffer, Eleven (Millie Bobby Brown) a été la victime des expériences d’un savant fou, à l’instar de Maria dans Metropolis. S’étant échappée des griffes de ses bourreaux, elle prête main-forte à trois garçons à la recherche de leur ami mystérieusement disparu. Avec ses allures androgynes à la Ripley et ses dons de télékinésie empruntés à Carrie (1976), de Brian De Palma, Eleven marque l’imaginaire.
Baiser historique
Passons au petit écran et saluons Gene Roddenberry, créateur de la série Star Trek (19661969). En 1966 apparaît sous les traits de l’actrice afro-américaine Nichelle Nichols la lieutenante Uhura («liberté» en swahili). Bien qu’ayant un rôle secondaire, Uhura est responsable des communications et a sous ses ordres des hommes blancs. Par ailleurs, elle échange avec le capitaine Kirk (William Shatner) le premier baiser interracial à la télévision.
Lorsque Nichols veut quitter la série, Martin Luther King l’en empêche en lui disant que Uhura est «le premier rôle non stéréotypé pour une femme noire aux États-Unis». La comédienne reste en poste jusqu’à la fin de la série et reprendra son rôle au cinéma dans la saga Star Trek jusqu’en 1989. Sans elle, qui sait si l’actrice racisée Sonequa Martin-Green aurait pu incarner le lieutenant-commandeur Michael Burnham dans la série Star Trek: Discovery (2017), de Bryan Fuller et Alex Kurtzman?
En 2009, Zoe Saldana prend la relève dans le Star Trek de J. J. Abrams — où Uhura jette son dévolu sur Spock (Zachary Quinto). L’actrice est aussi à l’avant-plan dans Avatar (2009), de James Cameron, et Les gardiens de la galaxie, vol. 1 et 2 (2014 et 2017), de James Gunn.
Cinquante ans après Star Trek, on retrouve dans Rogue One, où jouent Diego Luna, Donnie Yen, Wen Jiang et Forest Whitaker, la volonté de Roddenberry d’intégrer la diversité culturelle en science-fiction.
Frontières de l’infini
Alors que Mark Hamill suggère que Luke Skywalker pourrait être gai, J. J. Abrams ne s’oppose pas à l’idée que des personnages de Star Wars le soient aussi. Finn (John Boyega) et Poe (Oscar Isaac) formeront-ils un couple ?
Premier interprète de Sulu dans Star Trek, George Takei dévoile qu’il est homosexuel en 2005. Dans cet esprit, Sulu (John Cho) fait son coming out dans Star Trek : Sans limites (2016), de Justin Lin; le baiser échangé avec son partenaire est toutefois coupé au montage. Cela ne risque pas d’arriver dans Star Trek: Discovery, où les acteurs gais Anthony Rapp et Wilson Cruz forment un couple.
Pour leur part, J. Michael Straczynski, Lana et Lilly Wachowski célèbrent la fluidité sexuelle dans Sense8 (2015-2018), où évoluent plusieurs personnages LGBTQ, dont la hackeuse Nomi, incarnée par l’actrice trans Jamie Clayton.