Le Devoir

La dette des agresseurs

- ISABELLE PARÉ

Après avoir traversé quatre procès criminels et fait condamner ses quatre agresseurs, Guylaine Lebreux ne sent toujours pas que justice a été rendue, compte tenu des années de misère qu’elle a endurées. «J’ai retrouvé ma dignité, ma liberté. Mais même si mes agresseurs ont payé leurs dettes envers la société, j’estime qu’ils ont encore une dette envers moi», raconte cette Gaspésienn­e dont les procès criminels ont fait grand bruit dans sa ville natale.

La mère de famille, qui a subi de 6 à 15 ans les sévices sexuels répétés de quatre de ses oncles, est sur le point d’entreprend­re un des rares procès civils en dommages et intérêts intentés pour agression sexuelle au Québec. Elle estime que son cheminemen­t pour obtenir réparation, amorcé en 2009 lors du dépôt d’une plainte à la police, n’est pas encore bouclé.

Il aura fallu du cran à cette jeune femme pour faire condamner ses proches, près de vingt ans après les faits. Après le dépôt de la plainte, la police la convainc d’affronter seule ses quatre agresseurs armée d’un micro caché. Les hommes s’ouvrent sur leurs crimes et sont tous déclarés coupables, lors de procès distincts. Ils purgent respective­ment des peines de neuf mois, de quatre ans, de trois ans et demi et de cinq ans. «Le dernier accusé est sorti de prison en 2016 et, depuis, toute ma famille m’a reniée. J’avais encore peur d’aller en Gaspésie il y a quelques années, mais aujourd’hui, je me sens plus forte», affirme Guylaine, qui a refait sa vie à Sherbrooke.

Si elle continue la bataille, c’est en raison de tous les dommages que ces traumatism­es lui ont causés. Tout juste diplômée en psycho-éducation en 1993, la jeune femme est tellement démolie intérieure­ment qu’elle ne croit plus en ses capacités de mener une carrière dans son domaine. «Je me sentais comme un objet, déshumanis­é. J’ai suivi des psychothér­apies, pris des médicament­s, je me suis rabattue sur de petites jobs par manque de confiance », dit-elle.

Après avoir affronté ses quatre procès, elle reprend du mieux et, soutenue par un conjoint aidant, elle réalise que ses agressions lui ont fait perdre bien plus que sa confiance, son enfance et son innocence. «J’ai passé dix ans de ma vie en procès, j’ai renoncé à une carrière dont j’avais toujours rêvé, j’ai vécu des pertes de salaires. En fait, j’ai dû mettre ma vie sur pause avec tous les dommages matériels et moraux que cela suppose», insiste-t-elle.

Pour mener ce nouveau combat, elle jouit de l’appui de son conjoint, a contracté un prêt à la banque et compte sur des collectes de fonds réalisées par la fondation Rose bleu, qu’elle a créée pour aider les victimes qui souhaitent intenter des procédures civiles. Elle poursuit chacun de ses agresseurs pour 50 000$ en dommages et intérêts. L’affaire sera entendue à Percé, lors d’un seul procès prévu en 2018.

Cette fois, dit-elle, la joute sera tout autre. «Ce ne sera pas comme au criminel, où les victimes sont aidées et accompagné­es. Ce sera moi, toute seule, contre eux, avec mon avocat.J’ai affaire à être solide.»

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