Le Devoir

« Pas question d’avoir un programme ! »

En Gaspésie, un parti propose la gestion municipale basée sur la participat­ion citoyenne

- RÉMY BOURDILLON Collaborat­ion spéciale

Dans l’arrière-pays de la Baie-des-Chaleurs, Saint-Alphonse-de-Caplan se résume à une longue rue principale qui s’en va se perdre, au loin, dans une rangée d’éoliennes. De part et d’autre de celle-ci, une école, une quincaille­rie, un bureau de poste et un Resto du Coin (c’est son nom). S’y ajoutent, un peu à l’écart, une scierie et un dépanneur.

Depuis son arrivée au poste de maire en 2002, Gérard Porlier a été réélu par acclamatio­n une fois sur deux. Cette année, c’est une équipe entière qui se dresse face à lui: la liste Démocratie participat­ive de Bertin St-Onge, lui-même ancien maire, entouré de six candidats aux sièges de conseiller­s.

Ce groupe de citoyens entend révolution­ner la manière de gouverner, et ceci inclut autant le fond que la forme.

«Les conseils municipaux auront un caractère plus festif que répressif, promet M. St-Onge. Les gens seront accueillis avec du café et de la bonne humeur. Pour chaque point à l’ordre du jour, la population pourra poser des questions, faire des commentair­es, voire proposer des amendement­s. Aucune décision ne sera prise par le conseil avant qu’on ait donné la parole aux citoyens. On s’attend à des réunions très longues. Mais la démocratie, ça ne coûte rien.»

Ne questionne­z pas les membres de Démocratie participat­ive sur leur programme électoral. « Pas question d’avoir un programme, on serait dans le champ!» s’emporte celui qui travaille comme «homme à tout faire». Les projets pour le village viendront des citoyens, qui seront encouragés à rallier des appuis dans la communauté pour que le conseil les soutienne.

Contrôle citoyen

Quant aux travaux majeurs qui rythment la vie d’une municipali­té (voirie, aqueduc, égouts…), «ils vont toujours exister, dit l’homme de 58 ans, mais on ne demandera plus aux gens de les prendre pour du “cash”. On va leur demander de participer à la démarche en créant un comité spécial, une commission, appelons ça comme on veut. On a plein de compétence­s qu’on n’utilise jamais dans notre communauté. Avant d’aller voir les “ingénieux” [ingénieurs], consultons nos “ingéniaux”!»

Jacques Ouellet, qui brigue lui aussi un poste de conseiller, complète: «La base d’une démocratie, c’est l’informatio­n. On va travailler à bien des niveaux pour l’offrir à la population, car ce n’est pas tout le monde dans le village qui utilise Internet.» Objectifs de la démarche: justifier les décisions du Conseil et permettre un contrôle citoyen sur les dépenses municipale­s.

Et si la nécessité de prendre une décision crève-coeur, contre la majorité, s’impose ? «On va avoir l’occasion d’expliquer pourquoi on prend cette décision, alors qu’en ce moment rien n’est expliqué », répond Steve Villeneuve, membre de l’équipe.

Démocratie participat­ive critique le «show» que représente l’assemblée du conseil: les décisions qui y sont prises ont déjà été actées lors d’une réunion de travail à huis clos des élus, tenue une semaine avant.

La démocratie participat­ive n’est pourtant pas une fatalité, soutiennen­tils: en France, il y a trois ans, le petit village de Saillans (1200 habitants) a élu une équipe comme la leur. Celle-ci a depuis formé des groupes citoyens de travail sur les enjeux locaux, et poussé la transparen­ce.

«À Saillans, les réunions de travail sont publiques, explique l’aspirantma­ire, et un compte rendu est publié à la fin pour ceux qui ne pouvaient pas y être. Ici, quand tu lis un procès-verbal, si tu n’es pas un Bertin St-Onge qui va aux réunions du Conseil depuis qu’il a 16 ans, tu ne comprends rien ! »

MM. St-Onge, Ouellet et Villeneuve ont une dent contre l’équipe sortante, dont l’écoute est, selon eux, défaillant­e. Le maire ne fait cas ni du comité pour un développem­ent durable viable qu’ils ont créé ni des autres citoyens, assurent-ils.

Consensus

Homme affable et bavard, Gérard Porlier est «maire à mi-temps» de ce village de 700 habitants — il passe ses après-midi au bâtiment municipal, lorsqu’il ne siège pas à un comité de la MRC de Bonaventur­e.

Le maire ne croit pas que son administra­tion manque de transparen­ce: «L’assemblée municipale est publique, le procès-verbal est sur le site Web, je ne vois pas comment on peut être plus transparen­ts!»

Les réunions de travail devraiente­lles être ouvertes à tous? «Ce n’est pas tous les conseiller­s qui sont à l’aise de parler en public, on se fait souvent enguirland­er par des citoyens!»

S’il est réélu, M. Porlier entend continuer la saine gestion des finances municipale­s, améliorer le réseau routier, peut-être «ouvrir une nouvelle rue». Concernant la participat­ion citoyenne, il attend des nouvelles de la Fédération des municipali­tés avant de se prononcer sur la loi 122.

«Par le passé, on a évité des référendum­s en consultant la population et en reconsidér­ant les plans, dit-il. C’est sûr que quand il y a un consensus, ton projet est parti du bon pied.»

Il veut aussi créer un fonds d’investisse­ment pour démarrer des entreprise­s d’économie sociale, pour assurer une continuité historique: « Nos communauté­s ont été créées par des coops, comme l’épicerie et la Caisse Desjardins, et par le syndicat des travailleu­rs forestiers», rappelle M. Porlier.

Première au Québec

Pour Jonathan Durand Folco, professeur d’innovation sociale à l’Université Saint-Paul d’Ottawa, cette culture locale pourrait expliquer le désir de participat­ion citoyenne à Saint-Alphonse.

«Parfois, un grand enjeu, comme une épicerie qui ferme ou un projet industriel, peuvent aussi mobiliser la population », explique l’auteur d’À nous la ville, un essai sur les mouvements municipali­stes (Écosociété).

De fait, les membres de Démocratie participat­ive citent l’opposition à l’exploratio­n gazière comme une «bougie d’allumage» de leur jeune parti municipal.

Ils défrichent en tout cas un terrain inconnu : «À ma connaissan­ce, c’est la première initiative du genre au Québec, avance M. Durand Folco. Le village de Saint-Camille, en Estrie, se distingue par sa gouvernanc­e démocratiq­ue, mais cela s’est davantage fait de façon organique. »

«On embarque dans une machine à inventer, s’amuse Bertin St-Onge. Si on réussit notre coup le 5 novembre, on va devenir un laboratoir­e. Notre rêve, c’est que le Québec soit envahi de démocratie participat­ive.»

Une partie du contrat est déjà remplie: deux des membres de l’équipe ont été élus par acclamatio­n.

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RÉMY BOURDILLON LE DEVOIR Steve Villeneuve, Jacques Ouellet et Bertin St-Onge ont fondé avec quatre autres citoyens le parti municipal Démocratie participat­ive dans le village gaspésien de Saint-Alphonse-de-Caplan.

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