Aujourd’hui, on fait la classe dehors
L’école Laurentide s’inspire d’un mouvement scandinave qui amène les élèves en plein air
C’était une vraie journée d’automne. Les feuilles des arbres volaient au vent. Le ciel gris se faisait menaçant. Les 45 élèves de sixième année de l’école primaire Laurentide sont arrivés en placotant, de bonne humeur, au parc Basile-Routhier, dans le nord de Montréal.
Ce jour-là, tous les cours pour les élèves de ces trois groupes prenaient place en plein air. Ou dans le magnifique pavillon d’accueil du parc, aux larges fenêtres donnant sur la rivière des Prairies.
Oui, vous avez bien lu: des enseignants ont décidé d’emmener leurs élèves dans un parc municipal toute la journée. Pour les enfants de sixième année de l’école Laurentide, c’est comme ça une journée complète toutes les deux semaines: tout le monde dehors, beau temps, mauvais temps.
Ce projet a vu le jour sous l’impulsion d’un groupe d’enseignants allumés de l’école Laurentide. Ils se sont inspirés d’un mouvement scandinave qui prône l’éducation en plein air. Ce courant, appelé Udeskole — la classe en nature —, gagne du terrain au Québec.
«L’école en plein air a un effet direct sur les enfants: ils sont enthousiastes, calmes et concentrés », dit Yannick Lacoste, un des instigateurs du projet à l’école Laurentide. Le projetpilote en est à sa deuxième année.
Cette école primaire située dans l’arrondissement de Saint-Laurent accueille près de 500 élèves, dont la vaste majorité provient de l’immigration — Syrie, Liban, Arabie saoudite, pays du Maghreb, et beaucoup d’autres. C’est une école défavorisée. Une bonne partie de ces élèves habitent dans des tours bétonnées dans le quartier Chameran, surnommé le Petit Beyrouth, enclavé entre l’autoroute 15, de grands boulevards et une voie ferrée.
Chasse au trésor
Yannick Lacoste et ses collègues sont un peu fous. C’est le genre d’enseignants qui changent la vie de leurs élèves. Un exemple: ils vont chercher les élèves à vélo dans le quartier Chameran. Matin et soir, durant les beaux jours, ils roulent en peloton avec les enfants et prouvent qu’on peut se déplacer sur deux roues sans risquer sa vie.
Pour le moment, au parc Basile-Routhier, Yannick Lacoste a divisé les élèves en deux groupes — un qui commence la journée à l’intérieur, et l’autre à l’extérieur. Au menu: une chasse au trésor où les enfants doivent recourir à des notions apprises en mathématiques pour lire un plan cartésien. Au signal du départ, les membres de chaque équipe sont partis en courant. Ils ont passé plus d’une heure à chercher des lettres cachées par les profs un peu partout dans le parc.
Yannick Lacoste et son collègue Jocelyn Beaulieu, deux enseignants en éducation physique, supervisent le groupe. Ils se parlent dans des walkie-talkies. «Ça pogne pas mal, ils trippent », dit Jocelyn à mi-parcours.
Avant et après l’activité, les élèves piquent une jasette. « Dans le bois, je me sens comme un aventurier. J’explore. Je me sens libre d’aller où je veux», dit Hamza.
Lui et ses amis nomment les noms d’oiseaux appris depuis le début de l’année scolaire: cardinal, mésange, urubu à tête rouge, merle d’Amérique… «L’autre jour, on a aussi vu un gros nid de guêpes! Les guêpes voulaient manger nos sandwiches. »
Un peu avant l’heure du midi, Élina est surprise: «Est-ce que la moitié de la journée est déjà passée? Je pensais qu’on était ici depuis cinq minutes!»
Leila, elle, écoute le bruissement des feuilles dans les arbres. « C’est un bruit que j’aime. Je me sens calme dehors. Et la journée passe vite.»
Concentration
À l’intérieur du pavillon d’accueil, les enseignantes Isabelle Chevalier, Sandra Bidault et Patricia Thon donnent une leçon de maths à 22 élèves. L’orthopédagogue Patricia Vermette s’occupe de trois enfants qui ont plus de difficultés. Les élèves travaillent dans le calme. Il n’y en a pas un qui chiale.
«C’est fascinant de voir à quel point les élèves sont concentrés », dit l’orthopédagogue. «Le ministre de l’Éducation parle de l’école de demain. On en est un exemple. C’est un modèle qui fonctionne en Scandinavie, on pense qu’il pourrait inspirer d’autres écoles au Québec», ajoute l’enseignante Isabelle Chevalier.
Le plus gros obstacle est… le coût du transport. Les enseignants rêvent d’une entente avec la Société de transport de Montréal qui leur permettrait de voyager gratuitement en bus ou en métro.
Ces profs font des miracles avec peu de moyens. Ils ont déniché des skis de fond, des raquettes et des patins pour tout le monde. «C’est encore plus important de sortir l’hiver, dit Yannick Lacoste. Les enfants apprennent à se vêtir pour profiter de la neige. Leurs parents apprennent aussi: plusieurs nous disent qu’ils ont peur pour leur enfant en hiver.»
Prendre des risques
La classe en nature force les élèves à sortir de leur zone de confort, souligne Marie-Claude Rivard, professeure au Département des sciences de l’activité physique de l’Université du
Québec à Trois-Rivières. Elle et son collègue Claude Dugas suivent de près le phénomène de l’Udeskole dans les pays scandinaves.
«On vit dans une époque où le contrôle parental et l’hypersécurité dominent, dit-elle. Dans la nature, les enfants apprennent à prendre des risques et à se faire confiance. Dans certains pays européens, des écoliers passent huit heures par jour dehors. Ils peuvent grimper aux arbres et utiliser un canif. De jeunes enfants peuvent marcher deux ou trois kilomètres en pleine forêt, ils en sont capables. »
Les parents seront heureux de constater un autre avantage du programme: il montre aux jeunes qu’il y a mieux à faire que de pitonner sur un écran…