Le tirage au sort pour sortir de la crise de la représentation
L’essayiste Hugo Bonin propose de soustraire de la démocratie ce qui lui fait mal : l’élection
Le 5 novembre prochain, c’est jour d’élections municipales au Québec. Au précédent scrutin, moins d’un citoyen sur deux a exercé son droit de vote, un taux de participation qui, malgré une légère hausse en 2013, stagne depuis longtemps sous la barre des 50%. Est-ce là une preuve d’un système qui déraille ?
«Notre système politique est en crise, tout le monde ou presque s’accorde là-dessus. Crise des institutions, de la démocratie, de la citoyenneté, crise, finalement, du politique», écrit l’auteur Hugo Bonin en ouverture de son premier essai, La démocratie hasardeuse (Éditions XYZ).
Sur 150 pages, le doctorant en sciences politiques à l’UQAM et à l’Université Paris-VIII propose d’introduire le hasard dans nos lieux de pouvoir. En tirant au sort parmi les citoyens nos prochains gouvernants, on supprime, selon lui, le principal responsable des maux de nos démocraties occidentales: l’élection.
L’auteur invite ainsi les lecteurs à réfléchir au-delà des réformes du mode de scrutin. Si le tirage au sort en politique paraît audacieux, cette idée ne date pas d’hier, trouvant un écho de l’Antiquité jusqu’à nos jours.
Fondamentalement « élitiste » en plus de reproduire les «rapports de domination», le système en place ne fait que limiter le pouvoir des citoyens, souligne l’auteur, rencontré dans un café du Plateau Mont-Royal. «Et l’élection était vue comme une façon de s’assurer que les meilleurs de la société ou ceux qui étaient déjà au sommet continuent de l’être. »
Plutôt que d’élire les gens « considérés comme les plus compétents», le tirage au sort fait le pari que n’importe qui peut s’acquitter de charges politiques. Dans ce mode de sélection des représentants du peuple, «il n’y a pas de meilleurs candidats. Ce qui est important, c’est de répartir les responsabilités politiques de manière égale et de s’assurer que tout le monde peut gouverner».
À ses yeux, le cynisme a gagné la politique parce que les gens ne s’identifient plus à leurs élus. «Les assemblées législatives sont plus riches, plus vieilles, plus masculines», résume-til. En sélectionnant des gens au hasard, l’Assemblée nationale ou la Chambre des communes seraient de facto plus représentatives de la population, probabilités obligent.
Et les élections ne sont pas non plus «un gage de compétence», fait valoir M. Bonin. « Donald Trump est apparu aux yeux de la majorité de la population comme étant le meilleur candidat face à Hillary Clinton. Est-ce que ça veut dire que c’est le plus compétent?» s’interroge-t-il, un sourire dans la voix.
Clientélisme
Dans un contexte de lutte contre la collusion et la corruption — remis en avant par la commission Charbonneau —, le tirage au sort couperait l’herbe sous le pied des politiciens tentés par la stricte défense de leurs intérêts personnels. «Il faudrait potentiellement acheter tout le monde. Ça rend la chose beaucoup plus difficile, voire impossible, à moins d’avoir des ressources assez incroyables. »
Finies, du même coup, les tentatives des politiciens de se faire réélire sur la foi de promesses illusoires auprès de leurs électeurs, leurs chances de retrouver le pouvoir une seconde fois étant pratiquement inexistantes. « [Le tirage au sort] élimine cette possibilité que “tu me donnes un contrat et je t’offre un emploi, ou tu me donnes de l’argent pour ma réélection”. »
À ceux qui doutent que l’on puisse confier à quiconque des charges politiques importantes, le chercheur rappelle qu’il y a derrière les élus toute une machine bureaucratique pour les conseiller, les encadrer et mettre en application leurs décisions. Les gens dont le nom est tiré au sort ne feraient pas exception.
Mais il serait mal venu de conclure que des élus sont en meilleure posture pour résoudre efficacement des enjeux de société. «Les gens qui sont dans les institutions sont souvent pris dans un certain cadre qu’ils n’arrivent pas à dépasser », avance M. Bonin. Forts de leurs diverses expériences de vie, des citoyens regroupés au sein d’une assemblée par le fruit du hasard «penseraient en dehors de la boîte».
Limites
L’instauration du tirage au sort en politique n’est pas la panacée, précise toutefois Hugo Bonin. S’il se garde bien d’imaginer un modèle idéal dans son ouvrage, l’auteur s’interroge tout de même sur les limites de ce mode longtemps relayé aux calendes grecques.
«Si on disait demain matin qu’on va tirer au sort l’Assemblée nationale et que c’est juste comme ça qu’on va gérer le Québec, je pense que,
peu importe le contexte, ça resterait problématique. Les gens auraient probablement une impression d’impuissance face à leur gouvernement. » Il faudrait d’autres «canaux pour influencer la politique», comme des référendums d’initiative populaire ou des mandats que l’on peut révoquer, suggère l’auteur.
Autre limite: les minorités pourraient être moins bien représentées que le reste de la population. Là encore, dit-il, «la solution reste de multiplier les instances » pour entendre leurs voix. Mais n’y aurait-il pas là un risque d’ajouter à notre fonction publique une lourdeur déjà critiquée ?
« Pour moi, ce n’est pas ajouter plus de bureaucratie, mais ajouter des endroits où les gens pourront s’exprimer, prendre des décisions, participer à la politique de manière plus directe. »
Autrement dit, «c’est en politisant que l’on devient politicien», lance l’essayiste. LA DÉMOCRATIE HASARDEUSE Hugo Bonin Éditions XYZ Montréal, 2017, 150 pages