Le Devoir

Le tirage au sort pour sortir de la crise de la représenta­tion

L’essayiste Hugo Bonin propose de soustraire de la démocratie ce qui lui fait mal : l’élection

- GUILLAUME LEPAGE

Le 5 novembre prochain, c’est jour d’élections municipale­s au Québec. Au précédent scrutin, moins d’un citoyen sur deux a exercé son droit de vote, un taux de participat­ion qui, malgré une légère hausse en 2013, stagne depuis longtemps sous la barre des 50%. Est-ce là une preuve d’un système qui déraille ?

«Notre système politique est en crise, tout le monde ou presque s’accorde là-dessus. Crise des institutio­ns, de la démocratie, de la citoyennet­é, crise, finalement, du politique», écrit l’auteur Hugo Bonin en ouverture de son premier essai, La démocratie hasardeuse (Éditions XYZ).

Sur 150 pages, le doctorant en sciences politiques à l’UQAM et à l’Université Paris-VIII propose d’introduire le hasard dans nos lieux de pouvoir. En tirant au sort parmi les citoyens nos prochains gouvernant­s, on supprime, selon lui, le principal responsabl­e des maux de nos démocratie­s occidental­es: l’élection.

L’auteur invite ainsi les lecteurs à réfléchir au-delà des réformes du mode de scrutin. Si le tirage au sort en politique paraît audacieux, cette idée ne date pas d’hier, trouvant un écho de l’Antiquité jusqu’à nos jours.

Fondamenta­lement « élitiste » en plus de reproduire les «rapports de domination», le système en place ne fait que limiter le pouvoir des citoyens, souligne l’auteur, rencontré dans un café du Plateau Mont-Royal. «Et l’élection était vue comme une façon de s’assurer que les meilleurs de la société ou ceux qui étaient déjà au sommet continuent de l’être. »

Plutôt que d’élire les gens « considérés comme les plus compétents», le tirage au sort fait le pari que n’importe qui peut s’acquitter de charges politiques. Dans ce mode de sélection des représenta­nts du peuple, «il n’y a pas de meilleurs candidats. Ce qui est important, c’est de répartir les responsabi­lités politiques de manière égale et de s’assurer que tout le monde peut gouverner».

À ses yeux, le cynisme a gagné la politique parce que les gens ne s’identifien­t plus à leurs élus. «Les assemblées législativ­es sont plus riches, plus vieilles, plus masculines», résume-til. En sélectionn­ant des gens au hasard, l’Assemblée nationale ou la Chambre des communes seraient de facto plus représenta­tives de la population, probabilit­és obligent.

Et les élections ne sont pas non plus «un gage de compétence», fait valoir M. Bonin. « Donald Trump est apparu aux yeux de la majorité de la population comme étant le meilleur candidat face à Hillary Clinton. Est-ce que ça veut dire que c’est le plus compétent?» s’interroge-t-il, un sourire dans la voix.

Clientélis­me

Dans un contexte de lutte contre la collusion et la corruption — remis en avant par la commission Charbonnea­u —, le tirage au sort couperait l’herbe sous le pied des politicien­s tentés par la stricte défense de leurs intérêts personnels. «Il faudrait potentiell­ement acheter tout le monde. Ça rend la chose beaucoup plus difficile, voire impossible, à moins d’avoir des ressources assez incroyable­s. »

Finies, du même coup, les tentatives des politicien­s de se faire réélire sur la foi de promesses illusoires auprès de leurs électeurs, leurs chances de retrouver le pouvoir une seconde fois étant pratiqueme­nt inexistant­es. « [Le tirage au sort] élimine cette possibilit­é que “tu me donnes un contrat et je t’offre un emploi, ou tu me donnes de l’argent pour ma réélection”. »

À ceux qui doutent que l’on puisse confier à quiconque des charges politiques importante­s, le chercheur rappelle qu’il y a derrière les élus toute une machine bureaucrat­ique pour les conseiller, les encadrer et mettre en applicatio­n leurs décisions. Les gens dont le nom est tiré au sort ne feraient pas exception.

Mais il serait mal venu de conclure que des élus sont en meilleure posture pour résoudre efficaceme­nt des enjeux de société. «Les gens qui sont dans les institutio­ns sont souvent pris dans un certain cadre qu’ils n’arrivent pas à dépasser », avance M. Bonin. Forts de leurs diverses expérience­s de vie, des citoyens regroupés au sein d’une assemblée par le fruit du hasard «penseraien­t en dehors de la boîte».

Limites

L’instaurati­on du tirage au sort en politique n’est pas la panacée, précise toutefois Hugo Bonin. S’il se garde bien d’imaginer un modèle idéal dans son ouvrage, l’auteur s’interroge tout de même sur les limites de ce mode longtemps relayé aux calendes grecques.

«Si on disait demain matin qu’on va tirer au sort l’Assemblée nationale et que c’est juste comme ça qu’on va gérer le Québec, je pense que,

peu importe le contexte, ça resterait problémati­que. Les gens auraient probableme­nt une impression d’impuissanc­e face à leur gouverneme­nt. » Il faudrait d’autres «canaux pour influencer la politique», comme des référendum­s d’initiative populaire ou des mandats que l’on peut révoquer, suggère l’auteur.

Autre limite: les minorités pourraient être moins bien représenté­es que le reste de la population. Là encore, dit-il, «la solution reste de multiplier les instances » pour entendre leurs voix. Mais n’y aurait-il pas là un risque d’ajouter à notre fonction publique une lourdeur déjà critiquée ?

« Pour moi, ce n’est pas ajouter plus de bureaucrat­ie, mais ajouter des endroits où les gens pourront s’exprimer, prendre des décisions, participer à la politique de manière plus directe. »

Autrement dit, «c’est en politisant que l’on devient politicien», lance l’essayiste. LA DÉMOCRATIE HASARDEUSE Hugo Bonin Éditions XYZ Montréal, 2017, 150 pages

 ?? PEDRO RUIZ LE DEVOIR ?? L’auteur Hugo Bonin: «Ce qui est important, c’est de répartir les responsabi­lités politiques de manière égale et de s’assurer que tout le monde peut gouverner.»
PEDRO RUIZ LE DEVOIR L’auteur Hugo Bonin: «Ce qui est important, c’est de répartir les responsabi­lités politiques de manière égale et de s’assurer que tout le monde peut gouverner.»

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