Le Devoir

Le vieillisse­ment de la société québécoise : un enjeu municipal méconnu

- ANNE-MARIE SÉGUIN Professeur­e titulaire au Centre Urbanisati­on Culture Société de l’INRS, et chercheuse responsabl­e de l’équipe VIES (Vieillisse­ments, exclusions sociales et solidarité­s)

Alors que la campagne électorale bat son plein dans toutes les municipali­tés du Québec, Le Devoir a invité quelques observateu­rs de la politique municipale à proposer des réflexions autour de la participat­ion citoyenne et de quelques grands enjeux. Cette série se poursuit le samedi.

Selon les prévisions de l’Institut de la statistiqu­e du Québec, en 2036, le pourcentag­e d’aînés atteindra 25,9%. Le vieillisse­ment de la population québécoise va donc s’intensifie­r dans les 20 prochaines années. Quels sont les principaux défis que pose cette réalité au monde municipal ? Avant de répondre à cette question, il est important de préciser que toutes les personnes de 65 ans et plus ne nécessiten­t pas des aménagemen­ts particulie­rs, car une grande partie des aînés ont les mêmes besoins que les autres adultes. Ce n’est que lorsqu’ils ont perdu certaines capacités essentiell­es à leur autonomie que leurs besoins sont différents. Les quartiers de banlieue conçus pour les familles avec jeunes enfants et les déplacemen­ts automobile­s ou encore les villages en voie de dévitalisa­tion où le seul commerce restant, un dépanneur, est menacé de fermeture ne constituen­t certes pas des milieux de vie bien adaptés pour les aînés souffrant de certaines incapacité­s.

Ce besoin d’adaptation des milieux résidentie­ls a d’ailleurs été reconnu par le programme Villes amies des aînés développé par l’Organisati­on mondiale de la santé, et repris au Québec sous le nom Municipali­tés amies des aînés (MADA). Alors que plus de 860 municipali­tés québécoise­s ont adhéré à la démarche MADA, le thème du vieillisse­ment est très peu présent dans les débats médiatisés entourant les prochaines élections municipale­s québécoise­s. Comment expliquer cet état de fait ?

Vieillisse­ment et rajeunisse­ment

Premièreme­nt, il existe au Québec un discours médiatique qui présente une vision négative du vieillisse­ment et des personnes âgées que l’on associe le plus souvent à la dépendance et à un lourd fardeau financier pour la société, passant sous silence leur contributi­on sociétale importante en tant que proches aidants, grandspare­nts très présents, bénévoles, contribuab­les, voire travailleu­rs pour certains, etc. Cette vision tronquée et réductrice est susceptibl­e de nourrir des tensions intergénér­ationnelle­s. Aussi, on peut penser que plusieurs candidats voudront éviter de s’engager sur le terrain du vieillisse­ment d’autant plus que les aînés font peu entendre leur voix dans l’arène municipale.

Deuxièmeme­nt, au niveau municipal, la transforma­tion relativeme­nt rapide de la structure par âge de l’ensemble du Québec est doublée d’une seconde transforma­tion démographi­que qui a ses caractéris­tiques propres, c’est celle des quartiers et des villages. Celle-ci peut s’orienter vers un vieillisse­ment, mais aussi vers un rajeunisse­ment.

Par exemple, les quartiers qui concentrai­ent une importante population âgée en 1980 sont souvent beaucoup plus jeunes maintenant, les aînés ayant été remplacés par de jeunes ménages. Un des exemples les plus révélateur­s de cette dynamique est celui des écoles de plusieurs quartiers montréalai­s qui n’arrivent plus actuelleme­nt à répondre aux besoins de leur population scolaire alors que durant les années 1970 et 1980, plusieurs écoles de ces quartiers centraux ont été transformé­es en coopérativ­es de logement ou en centres communauta­ires. En revanche, dans certaines régions du Québec, de nombreuses écoles de village ont été fermées ou sont menacées de fermeture, faute d’enfants pour les peupler. Dans ces municipali­tés, l’objectif est de conserver, voire d’attirer de jeunes familles. Les enjeux de vieillisse­ment ne sont donc pas les seuls à l’avant-plan, ils peuvent être de rajeunisse­ment dans certains milieux. Les enjeux dans une société vieillissa­nte sont donc localement plus complexes qu’il n’y paraît à première vue.

Approche inclusive

Ces considérat­ions m’amènent à proposer une conception autre que la seule vision «monogénéra­tionnelle» des enjeux locaux. Les municipali­tés et leurs habitants gagneraien­t à développer une approche inclusive, c’est-à-dire qui prend en compte les besoins des différents âges, et dynamique, c’est-à-dire qui considère les transforma­tions probables du profil d’âge de la population des différents milieux de vie.

Un examen attentif montre d’ailleurs que de nombreux aménagemen­ts qui sont associés aux personnes âgées ne répondent pas à leurs seuls besoins. L’exemple des ascenseurs du métro montréalai­s est éloquent à ce propos. Ils servent aussi bien aux parents avec poussette, aux personnes portant de gros paquets encombrant­s ou lourds, aux personnes de tous âges souffrant d’une incapacité affectant la mobilité, sans compter que de nombreux aînés utilisent les escaliers. En outre, comme les modificati­ons à l’environnem­ent bâti sont coûteuses, il serait judicieux de concevoir les bâtiments et les aménagemen­ts de manière à ce qu’ils puissent être transformé­s ou adaptés aux transforma­tions démographi­ques locales à venir, donc construire et aménager pour des usages et des usagers qui différeron­t dans le temps sur le plan de l’âge. Cela peut être un peu plus coûteux à court terme, mais rentable à plus long terme.

Les recherches sur les besoins des personnes âgées ont montré que l’accessibil­ité aux services, commerces et équipement­s collectifs locaux est primordial­e pour assurer leur bien-être. Une manière d’y contribuer consiste à améliorer la desserte en transport collectif et à constituer un ou des pôles de services et d’équipement­s. Or, une offre locale de transport collectif plus généreuse et la création de pôles de services et de commerces peuvent permettre de revoir les modes de transport de tous les habitants et promouvoir ainsi un développem­ent plus durable. Créer, là où ils n’ont jamais existé, des coeurs de services et d’équipement­s à l’image des anciens coeurs villageois, ou encore les dynamiser peut aussi favoriser les liens sociaux à l’échelle locale, notamment entre les génération­s.

Autrement dit, le vieillisse­ment de la population québécoise peut être vu comme une occasion pour l’ensemble des Québécois de revoir leur modèle de ville, de village et, dans les milieux moins denses, de municipali­tés régionales de comté. Si le vieillisse­ment oblige les municipali­tés et leurs habitants à un questionne­ment sur l’aménagemen­t, il n’est pas nécessaire que ce questionne­ment ne prenne en compte qu’une génération. Le vieillisse­ment peut être le prétexte pour un dialogue inclusif auquel participer­aient toutes les génération­s et tous les types de ménages pour repenser nos villes de manière plus durable, plus solidaire et plus inclusive.

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR Le vieillisse­ment de la population québécoise peut être vu comme une occasion pour l’ensemble des Québécois de revoir leur modèle de ville, de village et, dans les milieux moins denses, de municipali­tés régionales de comté.

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