Les hausses salariales problématiques
On s’attend à une hausse conjoncturelle des salaires, notamment au Québec. Mais sa faible croissance structurelle vient compliquer le diagnostic sur l’état de l’endettement des ménages, fortement influencé par la santé du marché immobilier.
Les données du recensement de Statistique Canada chiffraient à quelque 5 points de pourcentage l’écart du taux de propriété d’un logement entre les millénariaux âgés de 30 ans et les baby-boomers à l’époque où ils avaient le même âge. Soit 50,2% et 55,5% respectivement. Une fois cela dit, l’explication est connue. Les jeunes adultes sont plus nombreux à poursuivre leurs études et à choisir de rester chez leurs parents. Ils y demeurent plus longtemps et ils sont moins pressés de former un ménage. On évoque également un découragement devant les prix soi-disant prohibitifs des logements.
Effectivement, si en 1990, au début du krach immobilier, le versement de l’intérêt comptait pour 10,5 d’un ratio de service de la dette de quelque 12 % du revenu disponible, ce poids est tombé aujourd’hui à 6,5 d’un ratio de plus de 14 %, selon les données de Statistique Canada.
Cela dit, on pense peu à l’effet et aux conséquences de la faible croissance structurelle des salaires. En juin dernier, l’agence de notation DBRS indiquait que la dette totale des ménages avait augmenté de 480% de 1990 à 2017, alors que le revenu disponible n’a crû que de 197%. Certes, on n’a d’yeux que pour le ratio dette/revenu disponible qui, à 167,8%, établit un nouveau record. Pour oublier l’accroissement de la valeur de l’actif des ménages. Mais la valeur de cet actif peut évoluer au rythme des corrections boursières et de la contraction des cours immobiliers. Une possibilité amplifiée par ces banques centrales ayant encouragé les excès d’endettement et la formation de bulles dans certaines catégories d’actif.
Au Mouvement Desjardins, on calculait en juin que, selon le ratio du service de la dette, près de la moitié des ménages consacraient 10% ou moins de leur revenu au remboursement du capital et des intérêts, contre le tiers en 2000. Et 29 % des ménages avaient un ratio entre 10 et 20%, pour une moyenne générale de 16,7 %. Nous sommes loin du seuil critique supérieur à 40 % établi par la Banque du Canada. Mais, également en juin, le directeur parlementaire du budget publiait un rapport dans lequel il prévoyait que le ratio des paiements d’intérêt au revenu disponible passerait de 14,2% à 16,3% d’ici 2021, soit bien au-delà de sa moyenne historique de 13 %.
Difficile équilibre
Tous ces chiffres nous ramènent à un équilibre taux hypothécaire–cours immobiliers–salaire fragilisé dans une conjoncture de hausse généralisée du loyer de l’argent. Sur ce point, Jimmy Jean, économiste principal au Mouvement Desjardins, poursuivait cette semaine sa réflexion sur les conséquences d’une faible croissance des salaires. Dans son amorce de juin, il concluait qu’au-delà d’un rebond observable en 2017, sous l’action d’allégements fiscaux, et attendu en 2018, l’augmentation salariale demeure structurellement tout aussi chétive que celle de l’inflation à laquelle elle est rattachée. Une problématique observée à l’échelle mondiale, sous l’effet cumulé d’une inflation anémique, du déplacement de la production vers les pays à faibles coûts de maind’oeuvre et d’une croissance atone de la productivité du travail.
Cette faiblesse persistante de la croissance des salaires a pour effet «de rendre plus difficile le désendettement, ou encore l’accès à la propriété. Elle peut dans certains cas constituer un découragement à l’éducation. Elle freine l’épargne et précarise les retraites futures. »
Cette fois, Jimmy Jean revient à la corrélation entre les gains de productivité et la croissance des salaires pour craindre une fracture provoquée sous l’effet des innovations technologiques accélérant la substitution de la main-d’oeuvre par le capital. Ce qui ne peut qu’éroder davantage le pouvoir de négociation des salariés et réduire le poids de la part de la main-d’oeuvre dans les revenus générés dans l’économie.