L’industrie allemande aux portes de l’enfer
Éric Vuillard entre dans les coulisses d’une Allemagne marchant vers la dictature
Depuis La bataille d’Occident et Congo (2012), jusqu’à L’ordre du jour, en passant par Tristesse de la terre (2014) et 14 juillet (2016), Éric Vuillard poursuit sa relecture de l’Histoire.
La Révolution française, la chute de l’Empire inca, les premiers pas du «reality show» avec Buffalo Bill, son regard est à la fois large et personnel. En une série d’instantanés — car l’écrivain sait que «la vérité est dispersée dans toute sorte de poussière» —, L’ordre du jour propose cette fois une incursion dans les coulisses d’une Allemagne lancée à toute vitesse sur le chemin de la dictature à l’aube de la Seconde Guerre mondiale.
Le 20 février 1933, 24 barons de l’industrie allemande ont rendez-vous au Reichstag, à Berlin, sur invitation de Goering afin d’y rencontrer Hitler, devenu depuis quelques jours chancelier de l’Allemagne.
Leur réalité dépasse l’état civil: ils ne sont ni Schnitzler, Witzleben, Schmitt ou Finck. Mais plutôt BASF, Bayer, Agfa et Opel. Machines à laver, automobiles, produits d’entretien. «Ils sont là, partout, sous forme de choses. Notre quotidien est le leur. Ils nous soignent, nous vêtent, nous éclairent, nous transportent sur les routes du monde, nous bercent.»
De 1933 à la débâcle de 1944, en passant par l’annexion de l’Autriche (l’Anschluss), en une quinzaine de tableaux impressionnistes à la langue peaufinée, Vuillard, né en 1968 à Lyon, déconstruit sous nos yeux dans son «récit» une implacable mécanique de l’ombre.
Pour lui, du reste, l’Histoire est une «déesse déraisonnable ». Elle bégaie, elle s’emporte, elle oublie et se contredit. Et la littérature reste le meilleur moyen d’être partout à la fois. «On ne tombe jamais deux fois dans le même abîme. Mais on tombe toujours de la même manière, dans un mélange de ridicule et d’effroi.» L’ORDRE DU JOUR
★★★ 1/2 Éric Vuillard Actes Sud Arles, 2017, 160 pages