Dans la comédie de l’Histoire
Alexis Ragougneau signe un roman d’aventures dans la France de l’épuration
La culpabilité, les erreurs, les compromissions et l’opportunisme sont-ils solubles dans le temps? Les Français, à l’évidence, n’en ont pas encore fini avec certaines périodes troubles de l’Histoire européenne.
En mai 1945, le metteur en scène danois Niels Rasmussen, «colosse au regard d’enfant» et résistant de la première heure (il vient de passer trois ans à faire sauter des trains), reçoit à Copenhague par courrier anonyme une page du Parisien libéré.
Il a sous les yeux l’annonce d’un procès d’épuration pendant lequel son meilleur ami, le dramaturge français Jean-François Canonnier, sera bientôt jugé pour «intelligence avec l’ennemi», risquant la peine de mort.
Cherchant à savoir ce qui a pu lui arriver pendant la guerre, le Danois quitte Copenhague pour Paris, laissant derrière lui sa compagne enceinte. Il va traverser l’Europe avant de débarquer dans le Paris du marché noir et des règlements de comptes, avec ses zones grises, ses procès expéditifs, ses redresseurs de torts, ses héros réels ou instantanés. C’est l’univers d’ombres qui se retrouve au coeur de Niels, troisième roman d’Alexis Ragougneau.
Au cours des quelques années passées par Rasmussen en France, les deux amis avaient monté ensemble trois pièces et le Danois, amateur de Louis Jouvet, en est convaincu: seule la littérature intéressait son ami. Comment a-t-il pu alors se retrouver dans cette situation, la même que pour les Brasillach, Drieu La Rochelle, Rebatet, Henr y de Montherlant ?
Rasmussen va ainsi mener sa propre enquête en se méfiant des uns et des autres. « Écrire des pièces, quand bien même célébrant la Révolution nationale, équivalait-il à racketter des pauvres gens, à les dénoncer tous — mari, femme et enfants —, enfin à les entasser dans les trains à bestiaux en partance pour l’enfer?»
Niels est ainsi une plongée dans la comédie de l’Histoire. Avec des professions de foi envers la France libre, qui font sourire tant elles sonnent faux, et des décors interchangeables. Car les prisons où l’on parquait les familles juives en attendant de les déporter sont vite devenues les geôles des collaborateurs démasqués, personnages costumés à la va-vite et retourneurs de vestes.
Avec ce roman d’aventures historique en cinq actes campé dans le Paris de l’épuration, Alexis Ragougneau explore avec habileté la mince frontière qui sépare mensonge et vérité, bons et méchants. Lui-même auteur de polars et dramaturge, l’écrivain a l’habitude des zones grises et des dialogues — son roman, servi par une phrase sans éclat, en compte d’ailleurs peut-être un peu trop.
NIELS ★★★
Alexis Ragougneau Viviane Hamy Paris, 2017, 360 pages