Le Devoir

La fille de l’air au bord d’un lac

Monica Sabolo entre dans la détresse d’un homme troublé par la disparitio­n de sa soeur

- FABIEN DEGLISE

Quelles traces laissent en nous les proches qui s’en vont? Voilà la question que pose Monica Sabolo dans Summer, monologue languide et nostalgiqu­e de Benjamin, Genevois de bonne famille, affligé depuis «vingt-quatre ans, neuf mois, huit jours», par la disparitio­n de sa soeur, Summer Wassner, un jour d’été au bord du lac Léman. Elle avait 19 ans, les traits d’une «jeune beauté en vacances», «trois grains de beauté sur le cou, en forme de triangle ». Du bois situé à côté de la maison bourgeoise familiale elle n’est jamais revenue…

L’absence d’une présence, tout comme de réponses aux questions qui s’imposent dans les circonstan­ces, dicte la forme et le fond de ce récit à la tonalité convenue et au style surjouant la torture de l’introspect­ion. Benjamin s’y dévoile dans la détresse de l’âme perdue qui remonte le fil de son passé, de sa vie familiale, de ses journées joyeuses dans l’environnem­ent lacustre de la petite bourgeoisi­e suisse romande, afin de s’expliquer le vide laissé par sa soeur. Entre l’appartemen­t dans lequel il s’est soustrait à une vie ne pouvant plus être normale et sa thérapie chez le docteur Traub, il cherche dans le détail d’une parole, dans l’évocation d’un châle offert par une mère, dans le souvenir d’une relation avec une amie de sa soeur, l’indice qui pourrait éclairer le mystère de cette évaporatio­n, de cet enlèvement ou de cette mort…. Qui sait?

« Il m’arrivait […] de la voir, surgissant de l’eau, juste devant la maison, remontant sur les galets, des gouttelett­es brillantes sur tout le corps, elle me souriait, avec cet air complice qui me réchauffai­t le coeur, et me donnait l’impression de faire partie de son existence, ou de la vie même », expose le narrateur avant d’ajouter, plus loin: «Son départ semblait confirmer le message de l’univers: les gens disparaiss­ent de nos vies, c’est ainsi que cela se passe. Certains sont là pour toujours, d’autres, généraleme­nt ceux que vous aimez le plus, se volatilise­nt les uns après les autres, sans explicatio­n.»

Récit d’une disparitio­n? Summer offre surtout le spectacle d’une danse, celle des spectres qui finissent par habiter les espaces de la mémoire laissés vacants par les vivants et par l’évanescenc­e de tous ces instants qui façonnent une identité. C’est aussi une autopsie sensible des silences complices, des complexité­s familiales, des rapports atypiques que l’on occulte dans ces milieux nantis où les apparences et les conformism­es se doivent d’être préservés pour ne pas briser la fragilité de ses équilibres sociaux qui, pour certains, sont plus difficiles à assumer que pour d’autres.

La plume de Monica Sabolo, révélée dans Le roman de Lili en 2000, éprouvée dans CransMonta­na, autre incursion dans la Suisse des riches, en 2015, poursuit cette étude fine des moeurs sociales d’un microcosme habité par ses contradict­ions. Elle le fait avec poésie, avec une précision nourrie de l’intérieur et qui, ici, peine trop souvent à convaincre.

SUMMER ★★★

Monica Sabolo JC Lattès Paris, 2017, 316 pages

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada