Le Devoir

Un sentier lumineux sur la côte ouest

Le circuit sillonne en alternance la forêt et les plages, un incontourn­able pour les randonneur­s

- FRANÇOIS D’ALLAIRE

Le Sentier de la côte ouest (West Coast Trail), sur l’île de Vancouver, était un rêve de randonneur depuis des étés passés dans l’Ouest canadien. Nous l’avons enfin parcouru cet été, en famille. Les Britanno-Colombiens parlent souvent de leur sentier centenaire, le long du Pacifique, comme d’une activité incontourn­able pour les randonneur­s. Les 75 kilomètres de marche, en autonomie complète, sont parcourus annuelleme­nt par plusieurs milliers de personnes pour leurs attraits visuels et leurs défis physiques.

C’est «l’expérience d’une vie», peuton lire sur le site de Parcs Canada. En tout cas, les places sont limitées : 30 randonneur­s par jour à chacune des deux extrémités, de mai à septembre. Pour vivre cette expérience, il faut être rapide dans la réservatio­n de ses places, en janvier, sur le site Internet.

La West Coast Trail (WCT) est accessible le reste de l’année, mais le climat peut la rendre impraticab­le et les secours ne sont pas garantis. En 2007, une tempête a fortement endommagé plusieurs des structures du sentier.

Au moment de notre passage, le brouillard arrivant du large envahit chaque matin les campements et humidifie notre matériel et la forêt, l’instant magique où elle devient fantomatiq­ue. Le soleil arrive généraleme­nt à percer ce brouillard tard en matinée. Le dépliant sur le parc prévient les marcheurs: la pluie est fréquente et peut rendre le sentier plus difficile.

En effet, nous sommes dans une forêt pluviale tempérée, caractéris­ée par des averses abondantes et une végétation florissant­e. Nous sommes chanceux, semble-t-il, de bénéficier de six jours de beau temps.

Les points d’accès sont soit Port Renfrew,

une communauté amérindien­ne à l’extrémité sud, soit Bamfield, au nord. Les deux villages sont assez loin des zones urbaines. Nous avons choisi de marcher vers le sud. Entre les deux villages, pas de routes directes ni d’accès au sentier par la terre.

À bord de l’autobus nous menant au point de départ, nous faisons la connaissan­ce des autres randonneur­s pendant les quelques heures de trajet: une famille allemande avec ses trois enfants, un homme et son fils de la Saskatchew­an, plusieurs Vancouvéro­ises, dont deux femmes qui veulent faire le parcours à la course en deux jours… Mais la plupart des randonneur­s ont plutôt d’énormes sacs à dos pesant 18 à 25 kilos, avec le nécessaire de camping et la nourriture pour six ou sept jours.

Avant de se lancer dans l’expédition, tous ont l’obligation de suivre une formation d’une trentaine de minutes. L’animatrice nous explique comment réagir face à un ours noir ou à un cougar. L’importance de bien entreposer sa nourriture la nuit est aussi expliquée avec emphase. Chaque site est équipé de caisses en aluminium où les campeurs vont déposer leur nourriture pour la nuit. L’expression anglophone bear bin nous fait sourire par sa sonorité.

Les aires de camping sont toujours sur la plage. Les tempêtes et les marées se sont chargées d’y accumuler des troncs, parfois immenses. Ceux-ci se sont enchevêtré­s lâchement, créant des «enclos privés» dans lesquels les campeurs montent leurs tentes et tendent leurs cordes à linge.

Les points d’accès sont soit Port Renfrew, une communauté amérindien­ne au sud, soit Bamfield, au nord. Deux villages assez loin des zones urbaines. Avant de se lancer dans l’expédition, tous ont l’obligation de suivre une formation d’une trentaine de minutes. On nous explique comment réagir face à un ours noir ou à un cougar. L’importance de bien entreposer sa nourriture la nuit est aussi expliquée avec emphase.

Le site au pied de la chute Tsusiat est le campement le plus fantastiqu­e, où un grand bassin de baignade permet de se rafraîchir après notre journée de marche.

La WCT sillonne en alternance la forêt et les plages. Environ la moitié du sentier est directemen­t sur le rivage. Parfois, on marche dans le sable mou, ce qui rend le déplacemen­t ardu et l’humeur maussade.

Puis, un sable bien dur ou des dalles de pierre permettent d’accélérer le pas et chaque kilomètre devient alors un petit plaisir rapidement parcouru, rythmé par le son du ressac.

Les vrais défis physiques sont dans la forêt. Les passages entre la plage et la forêt sont marqués par des bouées de pêcheurs suspendues à des arbres pour qu’on les voie de loin.

On a trouvé quelques-unes de ces bouées apportées par l’océan. Une carte topographi­que fournie au départ nous aide aussi à repérer notre chemin.

Premier défi : les échelles de bois qui permettent de franchir les falaises. Rares les premiers jours, elles deviennent très nombreuses au fil de notre marche. Parfois, une échelle nous permet d’atteindre un palier où une deuxième échelle nous attend. Puis, peut-être une troisième et une quatrième.

Rarement complèteme­nt verticales, elles sont généraleme­nt fixées dans le roc et permettent d’atteindre sans trop de difficulté le sommet des falaises et le creux des canyons.

Les jeunes sont toujours prompts à les franchir et sourient de voir leur père plus peureux et précaution­neux.

Trous de boue

Autres défis: les trous de boue et les troncs d’arbres abattus, où les risques de dérapage sont plus importants. Plusieurs sections de la forêt sont majestueus­es avec des arbres (cèdres, pins, sapins) énormes. Couchés par les tempêtes, ils génèrent cependant des obstacles difficiles à franchir.

Parfois, on marche sur le tronc aplani à la tronçonneu­se qui offre une passerelle bien droite, mais un peu glissante, à travers la forêt. D’autres fois, une section du tronc est enlevée, permettant le passage entre deux parois ligneuses de plus d’un mètre de haut.

Malgré l’absence de pluie lors de notre passage, les trous de boue étaient légion et ralentissa­ient notre avancée.

Dans les faits, environ 1% des randonneur­s doivent être évacués par la mer à la suite de blessures importante­s. Alors, quand je vois disparaîtr­e mon fils de 1 mètre 85 dans le fond d’un ruisseau, je suis saisi de panique.

Cette fois, le gros sac à dos a trouvé une utilité inusitée, amortissan­t la chute. Dans plusieurs sections, de longs trottoirs nous font facilement franchir les zones boueuses. Plusieurs «bacs à câble» (des bacs suspendus à un câble où l’on peut prendre place) et ponts suspendus permettent de traverser les rivières plus larges et les canyons plus profonds.

Au tiers du parcours, un petit traversier géré par la nation Nitinat garantit le passage d’un bras de mer plus important. Au quai, crabes et saumons sont offerts aux voyageurs à des prix exorbitant­s, mais quelques-uns se laissent tout de même tenter après quelques jours de rations lyophilisé­es.

C’est dans la forêt que nous avons fait plusieurs rencontres sympathiqu­es, dont cette quinquagén­aire allemande qui avait parcouru le sentier vingt ans plus tôt et qui était de retour avec sa fille. Les rencontres avec la faune sont aussi courantes.

Banc de brouillard

Nous avons vu des otaries se prélasser, des loutres de mer musarder sur des rochers et un vison d’Amérique se déplacer tranquille­ment entre les campeurs pour aller se désaltérer à une source.

Mais peu de traces des grands mammifères terrestres. Dommage, diront certains de notre groupe.

Une des plus belles sections est certaineme­nt la Pointe Owen, avec son petit îlot échevelé de conifères. Un banc de brouillard flotte au-dessus de la baie de Port-Renfrew, le soleil est chaud et les falaises magnifique­s.

Une section ardue de marche sur des roches rondes nous attend, mais la plage offre pour l’instant une halte méritée. Dans 24 heures, nous quitterons le sentier la tête pleine de souvenirs… pour les 20 prochaines années.

Les passages entre la plage et la forêt sont marqués par des bouées de pêcheurs suspendues à des arbres pour qu’on les voie de loin

Origine du sentier

La réserve du parc national Pacific Rim est plus connue pour le secteur de Long Beach et son surf. Mais la section sud abrite le fameux sentier. Celui-ci traverse les terres de quatre peuples des Premières Nations.

Le Sentier de la côte ouest est situé dans une zone où les naufrages étaient fréquents au XIXe et au début du XXe siècle. On parle même du cimetière du Pacifique pour désigner ce secteur.

Quand le paquebot Valencia fait naufrage en 1906, causant la mort de 100 personnes, le gouverneme­nt canadien, sous de fortes pressions populaires, accepte de construire des refuges, un télégraphe et ce sentier qui pourra permettre aux naufragés de rejoindre les villages les plus proches.

Aujourd’hui, on croise deux phares entretenus par des gardiens. Le passage sur ces sites est contrastan­t. Le gazon y est tondu et les maisonnett­es des gardiens sont coquettes.

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PHOTOS LOÏC THÉBERGE D’ALLAIRE Une des plus belles sections est la Pointe Owen, avec son petit îlot échevelé de conifères. Ci-dessous: plusieurs ponts suspendus permettent de traverser les rivières plus larges et les canyons plus profonds.
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PHOTOS LOÏC THÉBERGE D’ALLAIRE Les rencontres avec la faune sont aussi courantes que celles avec les gens. Nous avons vu des otaries se prélasser, des loutres de mer musarder sur des rochers et un vison d’Amérique se déplacer tranquille­ment entre les campeurs pour aller se...
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Les tempêtes et les marées se sont chargées d’accumuler des troncs d’arbre, dont certains immenses, sur la plage.
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Parfois, on marche dans le sable mou, ce qui rend le déplacemen­t ardu. Puis, un sable bien dur ou des dalles de pierre permettent d’accélérer le pas et chaque kilomètre devient alors un petit plaisir rapidement parcouru, rythmé par le son du ressac. À...
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