Le Devoir

Transmettr­e cette beauté-là

- ODILE TREMBLAY

Souvent, il me semble que les jeunes compositeu­rs gagneraien­t à mieux connaître le répertoire des chansons françaises des temps passés. Celles du milieu du siècle dernier, entre autres, et un peu plus tôt, un peu plus tard. Pour la qualité de la langue, sa beauté en fait, une rythmique à laquelle se mesurer, ne serait-ce que pour s’en affranchir. Non par nostalgie, ou pas seulement, mais pour les jeux d’influences à combiner.

En France, cette poésie où le répertoire classique prend un bain d’argot nourrissai­t déjà le répertoire d’Aristide Bruant sur sa butte Montmartre au tournant du XXe siècle, mais deux guerres lui seront passées dessus pour cette floraison-là.

Lumineux sont les vers de Jacques Prévert sur les mélodies de Kosma, ses feuilles mortes ramassées à la pelle, sa Barbara ruisselant­e sous la pluie de Brest. On s’en berce.

J’ignore si Lambert Wilson a remporté chez lui son pari d’intéresser les jeunes génération­s au répertoire d’Yves Montand, qu’il sert en tournée depuis fin 2016 — lui m’assure que, même en France, les moins de 40 ans connaissai­ent à peine son nom — mais au Théâtre du Nouveau Monde, à la première représenta­tion du spectacle, je voyais surtout des têtes blanches au parterre.

Ce tour de chant avec orchestre tient ici l’affiche jusqu’au 5 novembre. Avec un peu de chance, les génération­s s’y mêleront dans les jours à venir. Ou peut-être pas du tout. Ce serait dommage !

Belle occasion en tout cas d’approcher Yves Montand (né Ivo Livi), disparu en 1991, il y a 26 ans. Cet homme-là est mythique autant pour ses racines d’ouvrier italien communiste que pour sa voix d’or, ses grands rôles au cinéma — dont Le salaire de la peur de Clouzot —, ses engagement­s politiques… et les femmes de sa vie. Avoir pris du galon auprès d’Édith Piaf, sa chérie, son Pygmalion, avoir eu pour grande compagne la brillante et éblouissan­te actrice Simone Signoret (héroïne de Casque d’or), avoir été l’amant de Marilyn Monroe, rencontrée sur le tournage de Let’s Make Love de George Cukor, positionne son homme.

Avoir été un géant de la scène aussi, à la longue dégaine et au charisme envié. Doit-on présenter Montand? Hélas, oui, semble-t-il.

Avec une voix moins grave et chaude que celle de son modèle, mais un timbre voisin, et un orchestre formidable, des arrangemen­ts de son pianiste Bruno Fontaine, c’est le retour aux sources sur un swing musical moderne avec Wilson chante Montand.

Au rayon nostalgie et fleurs immortelle­s, se savourent Les feuilles mortes, Le temps des cerises, La bicyclette de Pierre Barouh, avec bande de jeunes copains à deux roues sur les petits chemins de terre. Et puis Paulette…

«Notre mission: transmettr­e cette beauté-là, me dit l’interprète. Je me sens comme un personnage de Fahrenheit 451 qui porte une oeuvre pour lui éviter l’oubli. C’est l’invitation au voyage. »

Les muses d’antan

J’ai rencontré Lambert Wilson au début de la semaine. Avec l’acteur de Rendez-vous et de Des hommes et des dieux, on n’aura pas beaucoup parlé de cinéma, surtout de Montand, peu écouté au cours de sa propre jeunesse. Son père, Georges Wilson, acteur avant lui, également saxophonis­te, carburait plutôt au jazz de Count Basie et au disque du musical West Side Story.

Faut dire que, dans les films de Claude Berri adaptés de Pagnol, le personnage de Papet, incarné par Montand en fin de vie, l’énervait davantage qu’autre chose… Puis il a plongé dans l’univers musical de celui qui, sans composer de chansons, posa sa touche sur celles qu’il se chargeait d’élire.

Lambert Wilson est également chanteur pour comédies musicales, une des vedettes aussi du film d’Alain Resnais On connaît la chanson. Il enregistra un disque des chansons de Montand pour les 25 ans de sa mort en 2016. La tournée a suivi, avançant plus encore en des zones moins balisées, des poèmes chantés entre autres: Le dormeur du val de Rimbaud, Les bijoux de Baudelaire.

Renaît par la bande le Montand politique, à travers l’inoubliabl­e Chant des partisans, écrit par Joseph Kessel et Maurice Druon sur une musique d’Anna Marly, hymne de la Résistance française, hommage à son armée de l’ombre.

Quant à la Ville lumière, la voici redevenue muse le temps d’un spectacle. Car on sent Paris moins inspirante à la rime qu’hier pour ses poètes. Reste à remonter le temps…

Quand Lambert Wilson entonne La chansonnet­te ou À Paris, on songe à quel point les pavés de la capitale française préservent surtout leurs enchanteme­nts dans les albums d’anthologie­s vendus sur les quais.

«Une poésie s’est perdue, avoue Lambert Wilson. On n’est pas heureux à Paris: la pollution, le stress, le prix des logements. Pour nous, la seule façon de se réconcilie­r avec la ville, c’est de parler avec des étrangers. Ou de prendre de la hauteur. Une fois, j’ai pu voir Paris à partir des toits du Louvre. On apercevait onze ponts. C’était d’une beauté… »

Rappelle-toi Barbara

Allez! Un bain des chansons françaises de jadis laisse rêveur et comme apaisé. J’étais allée entendre quelques jours plus tôt Marie-Thérèse Fortin chanter du Barbara au théâtre Outremont, sur accompagne­ment du pianiste Yves Léveillé et des Violons du Roy. Soirée magique, dont on sortait tout envoûtés. En 2017 était célébré un autre anniversai­re, les vingt ans de la mort de la grande chanteuse compositri­ce de Nantes et de Göttingen. Aide-mémoire, là aussi.

Juste pour vous prévenir, dans cette foulée est attendu sur nos écrans, le 10 novembre, le film Barbara de Mathieu Amalric, vu à Cannes, avec Jeanne Balibar en longue dame brune. Si un film français peut toucher le coeur des Québécois, c’est bien celui-là. Rien du biopic classique, mais une plongée en plusieurs temps dans l’univers d’une artiste qui aura transcendé un passé d’inceste (son père abusait d’elle) et d’enfant juive cachée sous l’Occupation, en devenant chantre de sa propre vie. Et puisse sa ferveur trouver, comme celle de Montand, des échos sonores dans les oreilles d’aujourd’hui.

 ?? AGENCE FRANCE-PRESSE ?? Faire redécouvri­r Yves Montand le chanteur (notre photo), sa poésie, son swing musical et son phrasé à la française ? C’est ce que souhaite le comédien Lambert Wilson en poussant au TNM la chansonnet­te, dans Wilson chante Montand.
AGENCE FRANCE-PRESSE Faire redécouvri­r Yves Montand le chanteur (notre photo), sa poésie, son swing musical et son phrasé à la française ? C’est ce que souhaite le comédien Lambert Wilson en poussant au TNM la chansonnet­te, dans Wilson chante Montand.
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