Connaissez-vous Karl von Ordoñez ?
L’actualité du CD nous propose son lot de répertoires originaux et de découvertes
Le disque se meurt, dit-on. Pourtant, les éditeurs continuent d’en produire à un rythme stable. La soif de découvertes de nombreux interprètes nous vaut heureusement quelques premières mondiales au disque, occasion de vous présenter cinq compositeurs rares.
Karl von Ordoñez: Symphonies. L’Arte del Mondo, Werner Ehrhardt. Deutsche Harmonia Mundi 8895441852. Les discophiles ayant une mémoire d’éléphant se souviendront peut-être que le nom de Karl von Ordoñez (17341786) est apparu lorsque des oeuvres de ce Viennois « compositeur du dimanche» avaient été enregistrées par Kevin Mallon et l’Orchestre de chambre de Toronto pour Naxos. Mais là, c’est Werner Ehrhardt, ancien directeur musical du Concerto Köln, le découvreur de Joseph Martin Kraus et de tant de compositeurs, qui a fait le tri dans le massif de 70 symphonies. Le fait que certaines partitions d’Ordoñez aient, par le passé, été attribuées à Haydn témoigne du style et de la qualité du travail. Quant au rapprochement de l’univers sonore du finale de la Symphonie en ré majeur (en sept mouvements) qui conclut ce disque avec celui de la Symphonie Jupiter de Mozart, il est judicieux. Voilà en première mondiale des symphonies d’un «compositeur du dimanche » pour le moins doué dans un disque jubilatoire.
A Lute by Sixtus Rauwolf. OEuvres SACD de Reusner, Dufault, Mouton, Kellner, etc. Jakob Lindberg. BIS-2265. À l’opposé du disque précédent, ce programme d’oeuvres pour luth publié par BIS ne comporte pas de premières mondiales, mais nous avons décidé de le présenter ici pour trois raisons. D’abord, parce qu’il est du genre magico-hypnotique (ceux qui ont, sur nos conseils, acheté le CD Kapsberger de Stefano Maiorana se reconnaîtront). Ensuite, parce qu’il passera totalement inaperçu, Sixtus Rauwolf, nom d’un facteur de luths du XVIe siècle, n’attirant pas l’attention! Enfin, parce que les non-spécialistes de l’instrument trouveront dans les oeuvres d’Esaias Reusner, de Charles Mouton ou de David Kellner matière à découverte autant qu’à envoûtement. Le disque est d’autant plus fascinant que les ingénieurs du son n’ont jamais cherché à grossir l’instrument et ont préservé l’intimisme de l’ambiance.
Eduard Künneke: Concerto pour piano op. 36. Sérénade, Airs tziganes. Oliver Triendl, Orchestre
de la radio de Munich, Ernst
Theis. CPO 555 015-2. Surprise pour qui a déjà entendu le nom de Künneke (18851953) associé à l’opérette berlinoise des années 1920 à travers son « tube » Der Vetter aus Dingsda, qu’on pourrait traduire par « Le neveu de Pétaouchnok » (1921). Le pragmatique Künneke sut reconnaître dans le cinéma un débouché auquel son talent de mélodiste lui ouvrait les portes. Son Concerto pour piano de 1935 contient un peu de cette expertise, intéressera les admirateurs d’André Mathieu et comporte des éléments jazzés qui étonnent au temps de l’Allemagne nazie. Les Airs tziganes sont une parfaite oeuvre de divertissement et la Sérénade de 22 minutes semble une synthèse de tout le romantisme allemand. Disque charmant et charmeur.
Szymon Laks: Sinfonie pour cordes. Sinfonietta pour cordes. NFM Leopoldinum Chamber Orchestra, Hartmut
Rohde. CPO 555 027-2. L’opposé de Künneke! Le nom de Szymon Laks est apparu il y a quelques années comme l’un des témoins principaux d’Auschwitz, où il dirigeait en 1942 l’orchestre formé par les prisonniers. Arrangeur de talent, Laks pouvait «rendre possible l’exécution de n’importe quelle oeuvre par n’importe quel groupe» — au gré, donc, des arrivées dans le camp et des exterminations. Il en témoigne ainsi dans sa biographie Musiques d’un autre monde. En tant que compositeur, Laks (1901-1983) semble un produit du Paris des années 1920, avec une musique qui rappelle harmoniquement Tansman ou Martinu. Ces deux oeuvres pour cordes (1936 et 1964) sont majeures, de même que le complément, Musique à la mémoire des solitaires, composée par Philipp Jarnach en 1952. On peut compléter la découverte avec un CD chambriste paru chez Chandos (Divertimento, Concertino pour vents, Quatuor à cordes no 4. CHAN 10983).
Kevin Puts: Symphonie no 2. River’s Rush. Concerto pour flûte.
Naxos 8.559 794. On fait grand cas, en ce moment, du «new classical», ce genre consistant hélas! souvent à parer le vide d’une pseudo «légitimité» classique. Il ne faudrait pas que ce courant fasse oublier le travail de compositeurs s’affiliant à une «vraie» tradition classique et cherchant à renouer avec le public. Kevin Puts (né en 1972), auteur de l’opéra Silent Night, Prix Pulitzer en 2012, est l’un des plus efficaces artisans de ce qui est à mes yeux un «vrai nouveau classique» à visée consensuelle. Sa Symphonie no 2 de 2002 n’est pas la plus déshonorante des partitions inspirées par les événements du 11Septembre, et tout ce disque de premières mondiales mené par Marin Alsop s’écoute avec plaisir, même si le temps stylistique reste arrêté à Aaron Copland et Morton Gould. Mon seul bémol est l’emprunt à Mozart, totalement superflu dans le 2e mouvement du Concerto pour flûte.
Outre ces cinq repères majeurs, il faut noter que les musiciens québécois aussi semblent friands de ces chemins de traverse. Dans le répertoire baroque, l’ensemble Pallade Musica s’intéresse, chez Atma, à des sonates à trois d’Otto Ernst Schieferlein (1704-1787). Le CD s’adresse cependant uniquement aux baroqueux d’une débordante curiosité.
Le verdict est le même, versant contemporain, pour un concerto pour piano, From Noon to Starry Night de l’Américain Claude Baker (né en 1948), défendu sur un disque Naxos par nul autre que Marc-André Hamelin, accompagné par l’Orchestre d’Indianapolis dirigé par Gilbert Varga. Les à-plat pseudo poétiques sont plutôt pédants et je doute que le pianiste québécois retourne souvent à cette création de 2010.
Tout au contraire, on pourra aller quérir le passage sur étiquette Atma du disque du Studio de musique ancienne (SMAM) paru en 1995 chez K. 617, Musique sacrée en Nouvelle-France, une réalisation qui avait vraiment mis en orbite le SMAM, ainsi que le CD sur étiquette Passacaille consacré par Elinor Frey aux sonates pour violoncelle d’Angelo Maria Fiorè (1660-1723).
La violoncelliste est accompagnée par le célèbre claveciniste Lorenzo Ghielmi, le théorbiste Esteban La Rotta et, dans des airs italiens, par Suzie LeBlanc.