Dérives et décalages à souhait
Deux expositions, deux artistes et une même raison, la peinture
DÉRIVES ET REPLIS de Louis-Philippe Côté EXTENSIONS, DÉCALAGES ET PROPOS AMBIGUS SUR LA PLASTICITÉ de Jean-Sébastien Denis
Expositions présentées à la galerie Simon Blais (5420, boulevard Saint-Laurent), jusqu’au 18 novembre.
Fidèle à une peinture sans limites, sans restrictions à un genre, la galerie Simon Blais défend aussi bien les carrières posthumes d’une Marcelle Ferron que d’un Edmund Alleyn, d’un Riopelle ou d’un Juneau. Boulevard Saint-Laurent, l’importance accordée aux «modernes» n’empêche pas qu’on jette son dévolu aussi sur les peintres vivants et très actuels.
Louis-Philippe Côté et JeanSébastien Denis sont parmi eux. La galerie les réunit, tout en prenant soin de bien les distinguer. Les récits à la forte gestuelle et aux teintes fauves de Côté ont en effet peu à voir avec les compositions abstraites de Denis, à la fois plus rigides et plus lumineuses.
La cohabitation de leurs deux expositions relève pourtant d’une belle cohérence. Les «dérives et replis» de l’un et les «extensions, décalages et propos ambigus» de l’autre évoquent une peinture qui s’abreuve à plusieurs sources, entre la citation et la réinvention d’un langage personnel, et toujours dans un incessant combat entre la profondeur (d’un plan, d’un propos) et la surface empreinte de matière.
Sans prétendre à énoncer l’état actuel d’une discipline, la galerie Simon Blais permet d’avoir sous un même oeil une belle diversité picturale. Du coup, le mariage imprévisible Côté-Denis nous rappelle qu’en cette saison pourtant très image (la biennale Momenta), les peintres gardent la cote. Cynthia Girard-Renard (Musée d’art de Joliette), Kent Monkman (PierreFrançois Ouellette art contemporain), Melanie Authier (Galerie de l’UQAM) et bien d’autres sont à l’honneur ces jours-ci.
La toile, vaste forêt
L’expo Dérives et replis réunit, comme le titre le dit, deux séries de tableaux à l’huile. Les Dérives, mises à l’honneur dans la grande salle de la galerie, s’apprécient comme une suite sur le même thème, sur la même scène. On peut y voir, tel que l’explicite l’énoncé de l’artiste, « [que] sur un lac, deux jeunes filles dans un canot s’apprêtent à quitter la rive».
Louis-Philippe Côté travaille à partir d’images trouvées ici et là. Dans le cas présent, c’est la littérature japonaise qui lui a soufflé son sujet. L’ambiguïté de ses compositions, souvent soutenues par des motifs évocateurs de violence (une arme, un incendie), semble avoir gagné en mystère. La tension n’est pas moins palpable, mais elle passe davantage par la matérialité des oeuvres que par la description d’un récit.
D’un tableau à l’autre, l’artiste oppose des éléments verticaux au premier plan à une structure générale horizontale. Un jeu des couleurs parfois plus contrasté, parfois plus harmonieux, donne à l’ensemble sa variété et fait passer le déjà banal de la scène à un simple motif d’exploration picturale. Le paysage disparaît et réapparaît, au gré d’une lumière, ou des saisons, que seul Côté, à la manière des postimpressionnistes, a pu figurer.
La série Replis repose sur la même scène dans un lac, sauf que celle-ci s’estompe presque de manière définitive. Ici, les replis, qui cachent tout sujet ex-trapictural, s’expriment par de petites touches polychromes, dans un bal plus désordonné. Le camouflage ne cherche pas à reproduire les teintes d’une forêt, mais à occuper un espace bien plus vaste et ouvert, celui de la toile.
Héritage plastique
L’expo Extensions, décalages et propos ambigus sur la plasticité prend son envol littéralement sur une histoire de la peinture québécoise, celle défendue par la galerie Simon Blais. Jean-Sébastien Denis a travaillé in situ dans la salle 3, salle presque privée où l’artiste a sélectionné des oeuvres des Rita Letendre, Claude Tousignant, Denis Juneau et autres Molinari pour s’y confronter.
Habitué à faire des anamorphoses architecturales après quelques projets du 1%, Denis s’est amusé à habiter cette salle en reliant les différents tableaux (et meubles et murs) par du ruban adhésif, outil de base à l’histoire des plasticiens. L’intervention, à la fois plastique et optique, invite par le biais des trous dans un mur à aller dans une autre salle, où l’artiste expose ses propres acryliques.
Dans le même style chaotique et aux collages hétéroclites, propre à son auteur depuis 15 ans, la série Imbrication respire néanmoins davantage en couleurs et en autonomie de ses éléments. Jean-Sébastien Denis, qui fait partie de ces artistes, peintres, dessinateurs ou sculpteurs qui revisitent le passé sous toutes ses formes, assume ici clairement l’héritage formaliste. Rubans, cibles, lignes, rythmes chromatiques ne deviennent pas moins, sous sa touche, des éclaboussures, des tracés spontanés et des compositions audacieusement déséquilibrées.