Le Devoir

Cruelle vie de banlieue

- ANDRÉ LAVOIE Collaborat­eur Le Devoir

SUBURBICON (V.F.: BIENVENUE À SUBURBICON) ★★1/2 Drame policier de George Clooney. Avec Matt Damon, Julianne Moore, Noah Jupe, Oscar Isaac. États-Unis, 2017, 104 minutes.

Ce ne sont pas les frères Joel et Ethan Coen qui nous ont appris à quel point la banlieue et les villes de province ne sont tranquille­s et idylliques qu’en apparence. Comme n’importe où ailleurs, elles grouillent de crapules et de salauds, mais ceux que l’on croise dans Fargo, No Country for Old Men ou Burn After Reading demeurent inoubliabl­es.

Le scénario de Suburbicon accumulait la poussière depuis des années, et il a fallu un fidèle de leur faune, George Clooney, pour enfin lui donner vie. On reconnaît d’emblée la propension des premiers pour l’humour noir et les personnage­s truculents, et le second à sa minutie en toutes choses — à commencer par son aura de star —, ainsi que ses penchants politiques à gauche. Ils sont d’ailleurs symbolisés ici par l’absurde constructi­on d’un mur autour de la maison d’une famille d’Afro-Américains dans une cité-dortoir où leur présence réveille les démons du racisme. Nous sommes en 1959, mais la clameur de l’intoléranc­e nous semble étrangemen­t familière.

La cruauté des antihéros des Coen se déploie dans cette tragicoméd­ie où l’infidélité conjugale fait encore des ravages, et dans une ambiance qui évoque autant Alfred Hitchcock (Vertigo) que Billy Wilder (Double Indemnity). Dans ce paradis du bungalow, tout ressemble au parfait bonheur entre Gardner (Matt Damon), Rose (Julianne Moore), son épouse en fauteuil roulant, sa belle-soeur, Margaret (oui, encore Julianne Moore), et leur fils, Nicky (Noah Jupe). Jusqu’au jour où deux intrus les menacent, provoquant la mort de Rose, drame que l’on impute aux tensions raciales dans le voisinage.

Les doutes s’accumulent pourtant devant cette succession préfabriqu­ée de malheureux hasards autour de cette famille éplorée. L’affaire prend alors une tournure de plus en plus sordide, mais toujours avec un sourire en coin, atteignant un sommet de cynisme suave lorsqu’un agent d’assurances, solidement campé par Oscar Isaac, cabotine à souhait pour mieux démasquer le couple diabolique que formeraien­t Gardner et Margaret. Pendant que la mécanique meurtrière se détraque, la banlieue proprette laisse exploser sa rage raciste, un phénomène exploré en surface, pour ne pas dire plaqué.

Clooney s’attarde avec affection à la figure du jeune Nicky, observateu­r silencieux, futé et sensible de la déliquesce­nce des adultes, aussi bien témoin de leurs magouilles financière­s que de leurs curieuses parties de jambes en l’air (avec une raquette de ping-pong…). Il adopte souvent son regard naïf et attendri, une manière habile d’illustrer certains carnages à hauteur d’enfant, stimulant ainsi notre imaginatio­n.

Tout cela fait-il de Suburbicon une grande réussite de la comédie noire? Chez Clooney comme chez les Coen, les oeuvres mineures jalonnent aussi le parcours, et cette charmante pochade banlieusar­de, aussi soignée soit-elle, est à ranger dans cette catégorie.

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