Le Devoir

L’art du polar doudou avec Marie Laberge

Affaires privées dévoile un grand bavardage sur fond de souffrance adolescent­e

- MANON DUMAIS

Si jamais Luc Dionne tombait en panne d’inspiratio­n, il trouverait en Marie Laberge une précieuse alliée pour lui mitonner de complexes intrigues pour sa série policière

District 31. Et surtout, le fournir en dialogues vivants où transparai­ssent la complicité entre les personnage­s, l’empathie qu’ils éprouvent à l’endroit des victimes et le plaisir tangible qu’ils ont à cuisiner les suspects. Car des dialogues de cette trempe, ce n’est certes pas ce qui manque dans Affaires privées, nouvelle création de la populaire romancière.

À l’instar d’un roman d’Amélie Nothomb, on discute beaucoup — et pas que durant les longs interrogat­oires! — dans ce polar marquant les retrouvail­les avec Vicky Blais, l’escouade des crimes non résolus de la SQ et Patrice Durand, son homologue français, après

Sans rien ni personne (Boréal, 2007) et Mauvaise foi (Québec/Amérique, 2013). On y bavarde aussi à propos de ses bonheurs ou malheurs matrimonia­ux et on jase météo, en sirotant un café bien fumant ou un bon cru, en se délectant d’un fin repas.

«Elle s’installe dans le confort moelleux de la causeuse pour boire son café. Dire qu’il y a deux jours, ils étaient à Venise à célébrer son anniversai­re dans un climat beaucoup plus généreux que celui de Montréal en novembre.»

Si vous cherchez un roman policier à vous glacer le sang, des atmosphère­s à vous couper le souffle et des descriptio­ns à vous faire tourner de l’oeil, passez votre tour. Tout comme chez la Maud Graham de Chrystine Brouillet ou le Armand Gamache de Louise Penny, il fait bon vivre chez Vicky Blais, qui, à cinquante ans, coule des jours heureux avec Martin, plus jeune qu’elle. Tout le contraire de ce que vit Patrice Durand et la mère de sa fille adorée: «Il bout intérieure­ment, et Delphine savoure sa victoire en dégustant son expresso. Les dents serrées, il fait signe au serveur. »

À la demande de Brisson, directeur de l’escouade des crimes non résolus, qui souhaite faire une faveur à une amie, Vicky est envoyée à Québec pour enquêter sur le suicide d’Ariel Crête, adolescent­e ayant tout pour être heureuse. En guise d’adieu, elle a laissé un statut laconique sur Facebook: « Des fois, c’est trop. Tellement trop. »

Au cours de l’enquête, Vicky Blais, bientôt épaulée par Patrice Durand, apprend qu’Ariel se mutilait. Dans la foulée de leurs recherches, ils enquêteron­t sur le suicide d’Andréane Sirois, douze ans, survenu trois ans auparavant. Outre leur amour du théâtre et le fait de fréquenter la même école privée, qu’est-ce qui unit ces deux jeunes filles ?

Maintenant confortabl­ement le lecteur dans une ambiance chaleureus­e, Marie Laberge aborde de plein fouet le désarroi des adolescent­s et la souffrance de perdre un enfant dans un récit riche en rebondisse­ments sur fond de crimes innommable­s. Si la romancière n’hésite pas à aller loin dans le sordide, elle le fait davantage en suggérant l’horreur qu’en la décrivant, évoquant à mots couverts la descente aux enfers des jeunes victimes.

Devant la gravité du sujet, on regrette toutefois le manque de finesse dans la descriptio­n des personnage­s, parfois près de la caricature, de la rigide directrice d’école au minable metteur en scène, en passant par la jeune enseignant­e dévouée. On regrette aussi comment Marie Laberge balance sans crier gare les cartes qu’elle gardait dans sa manche lorsque vient le temps de résoudre l’intrigue. Et après ce maladroit deus ex machina, elle conclut le tout sur une note fleur bleue servie avec un verre de rosé. Santé!

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PEDRO RUIZ LE DEVOIR Devant la gravité du sujet, on regrette toutefois le manque de finesse de Marie Laberge dans la descriptio­n des personnage­s.
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