Tomber dans la piscine de nos sentiments contradictoires
Avec Les noyades secondaires, Maxime Raymond Bock sonde la mélancolie de l’être en milieu urbain
Du fantastique dans des réalités pas trop parallèle. De la solitude partagée. Des anecdotes tranchées dans le sens d’un «nous» universel, un peu lucides, un peu sombres, souvent sensibles et qui éclairent cette grande subjectivité qui définit les rapports humains, la complexité d’être en phase avec son temps, avec les autres, avec toutes ces idées qui habitent le présent.
Voilà ce que livre l’ensemble des nouvelles réunies par Maxime Raymond Bock dans Les noyades secondaires (Le cheval d’août), recueil porté autant par l’amplitude du verbe que par la familiarité des angoisses que l’auteur d’Atavismes (Le Quartanier, 2011) et de Rosemont de profil (Le cheval d’août, 2013) cherche à circonscrire.
Tout est en digression — parfois un peu trop! — dans ces histoires à la banalité trompeuse, chroniques très montréalaises qui suivent, ici, un aspirant plongeur athlétique s’entraînant à la piscine Gadbois sous l’échangeur Turcot et rattrapé par le caractère moyen de son talent, et là, le destin d’un bouquin qui donne la mort, littéralement, à ses lecteurs à la fin.
Au fil des pages, le romancier promène ses lecteurs, de l’urgence d’un l’hôpital métropolitain, où un jeune homme est forcé à l’introspection par une douleur dans la poitrine ressentie à l’oratoire Saint-Joseph, où le coeur de frère André disparaît, en passant par une collaboration autour d’un essai historique troublé par la négligence d’un historien perdu, un souper de retrouvailles troublé par la distance qui s’installe dans les amitiés et un embouteillage troublant deux de ses victimes aux prises avec des vestiges archéologiques sous Turcot!
Avec un humour noir assumé et une langue urbaine dissimulant subtilement son envie de mordre, Maxime Raymond Bock déplie ses phrases à recoins sur une galerie de personnages qu’il laisse se noyer dans l’ordinaire de leurs destins et dans la futilité de leurs préoccupations. « [Je] me suis retrouvé technicien chez Bell pendant près de cinq ans, à tirer des câbles entre des poteaux dans les ruelles et à trouer des murs pour passer du filage dans des appartements crasseux qui sentaient la toast brûlée pour les meilleurs, et pour les pires, les excréments ou la pourriture, dit l’un d’eux. La paye m’allait, j’aimais être isolé dans mon camion, mais entrer chez les inconnus me levait le coeur. »
Le romancier dans la trentaine arpente une grande variété de sentiments contradictoires, entêtants, insonorisant les bruits du monde et qui semblent hanter le quotidien d’une génération, bien confortable, dans une métropole en mouvement où les fantômes du passé cohabitent avec une certaine forme de complaisance collective envers le projet commun. Complaisance qui parfois ralentit le groupe et souvent enfonce les moins optimistes du lot, à en croire le choeur de voix qui se fait entendre dans cette autopsie d’un présent peinant à se comprendre lui-même. «Va répéter ça à personne, dit un gars impliqué dans une pièce de théâtre perturbée par des cendres, mais au Québec, le public est soit trop poli, soit carencé dans ses aptitudes critiques, sans doute un peu des deux, il ferait une ovation debout à une giclée de flux sur un mur de stucco. »
Ces Noyades secondaires n’ont rien d’une «giclée de flux », ni même de la vulgaire courtepointe que la diversité d’espace et de temps qu’elles fédèrent aurait pu induire. Mieux, la constance du regard critique tire l’ensemble vers le haut, loin des collages décousus dans lesquels les assemblages de nouvelles peuvent parfois se noyer.