Sur les traces de Victor Segalen
Jean-Luc Coatalem rend hommage à l’auteur de René Leys, voyageur infatigable et mélancolique
«On a l’impression que Segalen est constamment sur le point d’entreprendre une oeuvre immense. On finit par le créditer de cette immensité, abusé par la grandeur de l’océan autour de ce personnage écrivain», écrivait Yann Queffélec dans son Diction- naire amoureux de la Bretagne.
Mort à 41 ans, Victor Segalen (1878- 1919) semblait tout être à la fois: médecin, romancier, poète, ethnographe, archéologue et sinologue. Voyageur infatigable, amateur intéressé par tous les sujets, le Français a laissé à sa mort une oeuvre tentaculaire et largement inachevée dont la plus grande partie a longtemps flotté sous les regards du public comme la partie immergée d’un iceberg.
Mort beaucoup trop tôt, dépressif, opiomane, grand vagabond qu’on dirait toujours coincé entre deux ou trois histoires d’amour, entre mille projets, ce médecin de marine qui détestait la mer semble avoir succombé à sa « neurasthénie aiguë ».
Dans Les immémoriaux, roman publié à compte d’auteur au Mercure de France en 1907, il prenait une première fois le large dans la foulée du peintre Paul Gauguin, abordant la Polynésie frappée par le rouleau compresseur de la civilisation occidentale. Plus tard, avec René Leys — faux roman et «polar enchinoisé» — et après trois longs séjours faits en Chine entre 1908 et 1918, pays dont il aura appris la langue, Segalen poussera bien plus loin que son compatriote Paul Claudel la « connaissance de l’Orient».
Écrivain spécialisé dans l’ailleurs, journaliste et baroudeur, rédacteur en chef adjoint au magazine Géo, issu lui-même d’une famille de Brest, Jean-Luc Coatalem, 58 ans, revisite l’oeuvre de Victor Segalen et met ses pas dans ceux de cet écrivain qu’il a découvert à la sortie de l’adolescence à Paris, après avoir grandi en Polynésie et à Madagascar.
«Compagnon fidèle mais invisible » de Jean-Luc Coatalem, Segalen a longtemps fait pour lui figure de mentor. Il lui livre avec Mes pas vont ailleurs un hommage vibrant que l’on sent longuement mûri, porté par une langue magnifique. Un exercice à la hauteur de son respect et de sa fascination, carburant à l’ivresse du voyage.
Biographie romancée autant que récit d’une passion personnelle, Mes pas vont ailleurs est aussi une tentative, perdue d’avance, de lever le mystère qui entoure cet écrivain insaisissable. Comme Segalen bien avant lui, Coatalem s’était même lancé sur les traces de Gauguin avec Je suis dans les mers du Sud (Grasset, 2001).
Pas à pas sur le Finistère breton, où Segalen est mort au bout de son sang, à cheval sur les plateaux chinois ou flottant «dans les touffeurs embuées de Colombo », Coatalem s’adresse tour à tour à lui et fond sa silhouette dans celle de l’écrivain brestois. Une exploration intérieure et mobile qui cherche à capter une forme de vérité sous la posture de dandy, les doutes et les ambiguïtés. Une ode à cet «ami considérable».
Une sorte d’enquête, surtout, menée sur un fil tendu à la poursuite du « rêve obscur que chacun porte en soi».
«Compagnon fidèle mais invisible» de Jean-Luc Coatalem, Segalen a longtemps fait pour lui figure de mentor