La machine à briser le temps
Elan Mastai joue avec les réalités alternatives pour souligner « l’horreur puante » du présent
Les auteurs de science-fiction aiment les univers dystopiques, causés par de terribles cataclysmes, la guerre nucléaire ou encore des maladies contagieuses. Dans Tous nos contretemps, son premier roman, le scénariste canadien Elan Mastai n’est pas allé chercher si loin: sa dystopie, c’est notre monde.
Enfin, c’est ce qu’en pense Tom Barren, héros torontois de cette trépidante aventure spatiotemporelle. Il vit dans un univers parallèle au nôtre où un événement prodigieux survenu le 11 juillet 1965 a changé le cours de l’Histoire. Ce jour-là, une formidable génératrice puisant dans la rotation de la Terre est mise en marche. La technologie connaît alors des avancées fulgurantes grâce à la puissance illimitée du «Moteur de Goettreider».
En 2016, Tom Barren vit donc dans ce «paradis technoutopique d’abondance, de raison et de progrès» où «toutes les fonctions banales de la vie sont prises en charge par la technologie». La paix règne à travers le monde. Des drones s’occupent d’à peu près tout, tandis que les humains se consacrent à inventer et à tester de nouvelles formes de divertissement, dont le paroxysme est le voyage dans le temps, mis au point par le génial père du protagoniste, Victor Barren.
Or, après un voyage spatiotemporel expérimental qui tourne au vinaigre, Tom Barren est parachuté dans notre réalité, qu’il trouve bien aphasique. Il se donne alors pour mission de résoudre le paradoxe qui a fait disparaître son univers par erreur.
Elan Mastai a créé un héros fort loquace avec beaucoup d’humour et d’autodérision qui raconte son odyssée… et sa difficulté à la raconter, lui qui vient d’un monde où les livres sont programmés sur mesure. Ce « loser » rigolo cesse rapidement de s’épancher sur la relation difficile avec son père en se préoccupant désormais des milliards d’individus de sa société parallèle plus verte que son erreur n’a jamais fait naître. On est ici aux prises avec les tourments du protagoniste projeté dans l’«horreur puante, sinistre […] merdique » de notre présent, aux prises avec une version alternative de luimême, paradoxe spatio-temporel oblige, et ses souvenirs, sa famille, son emploi d’architecte de renommée internationale. Fait étrange: les proches du «nouveau» Tom Barren l’accueillent avec une facilité déconcertante lorsqu’il dit venir d’un autre présent.
Elan Mastai, rompu aux codes du cinéma hollywoodien, prend certains raccourcis mais en arrive à des rebondissements inattendus et rafraîchissants. Son récit demeure toutefois captivant du début à la fin, puisant avec imagination dans des thèmes familiers de la science-fiction.