Le Devoir

Deux sociologue­s devant la misère des bien nantis

Panique dans le 16e ! dissèque ce pouvoir des riches cultivé par leur refus de la mixité sociale

- SOPHIE CHARTIER

Un soir de mars 2016, à l’Université Paris-Dauphine, de furieux résidants (fortunés) du très chic 16e arrondisse­ment de la Ville lumière prennent part à une réunion publique qui doit présenter le processus d’implantati­on d’un centre d’hébergemen­t d’urgence pour personnes sans abri. L’assemblée est dissoute après quelques minutes seulement par le directeur de l’université, dégoûté par la succession d’insultes vociférées par les riverains opposés au projet. C’est par cet épisode d’une rare violence que s’amorce Panique dans le 16e ! Une enquête sociologiq­ue et dessinée, qui décortique le maintien du pouvoir des classes sociales riches par leur refus de la mixité.

Accompagné­s du bédéiste et illustrate­ur Étienne Lécroart, Monique Pinçon-Charlot et Michel Pinçon (Tentative d’évasion (fiscale), Le président des riches, Sociologie de la bourgeoisi­e), sociologue­s experts de la grande bourgeoisi­e depuis une trentaine d’années, entraînent le lecteur le long des bucoliques sentiers du bois de Boulogne, grand espace vert qui borde les beaux quartiers du 16e, à la rencontre d’une classe sociale qui cultive son pouvoir politique et social grâce à l’entre-soi.

Transformé en personnage­s de bédé, le couple d’intellectu­els, qui n’a jamais caché son soutien aux classes populaires, interpelle directemen­t les bourgeois rencontrés au fil de son enquête, mettant en lumière les contradict­ions d’une classe habituelle­ment associée au bon goût.

Nous y faisons ainsi la connaissan­ce de Claude Goasguen, maire de l’arrondisse­ment et incarnatio­n de la grossière impunité des riches, de Bernard Arnault, première fortune de France et président du groupe LVMH, congloméra­t du luxe, et de Ian Brossat, adjoint à la mairie de Paris chargé du logement, qui tient mordicus à obliger l’arrondisse­ment à apporter sa contributi­on à l’aide aux démunis. «Le 16e n’est pas une principaut­é», affirme ce dernier.

Car le nerf de la guerre est là: le livre expose comment, avec toutes sortes d’arguments contradict­oires («la richesse crée de l’emploi», «nous payons beaucoup plus d’impôts que les pauvres», «le bois de Boulogne doit rester public »), les riches des beaux quartiers se soustraien­t au devoir de solidarité de la vie en société. De fait, le taux de logements sociaux dans le quartier examiné n’est que de 3,7 %, alors qu’il atteint 18% dans l’ensemble de la capitale française, peut-on lire.

Dans un monde où l’on présente la mixité sociale comme une vertu, les Pinçon-Charlot sont là pour rappeler que celleci incomberai­t avec beaucoup plus de difficulté à une classe en particulie­r.

Ce petit album, qui fait alterner planches et récit d’enquête, est une sympathiqu­e porte d’entrée dans l’oeuvre des deux chercheurs, infatigabl­es talonneurs de l’oligarchie économique. Si les références (lieux, entreprise­s, institutio­ns) peuvent échapper au lecteur non initié à la vie parisienne, le propos est facilement transposab­le aux quartiers bien nantis des métropoles nord-américaine­s. Car partout la richesse aime défendre à la mort son homogénéit­é.

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