Le Devoir

L’amitié fidèle en terrain montagneux

Paolo Cognetti signe un premier roman initiatiqu­e à la beauté universell­e

- CHRISTIAN DESMEULES Collaborat­eur Le Devoir

Àtravers des pages trempées de la puissance silencieus­e des montagnes, Paolo Cognetti nous raconte l’histoire de deux amis et d’une montagne. Premier roman accroché à la «beauté inhumaine» des cimes, pour lequel l’écrivain italien a reçu cette année le prestigieu­x prix Strega — le Goncourt italien —, Les huit montagnes envoûte et résonne de questions auxquelles seul le lecteur peut répondre.

Depuis qu’il a onze ans, Pietro, le narrateur, quitte Milan pour passer ses vacances d’été à Grana, un minuscule village accroché aux flancs d’une montagne du Val d’Aoste, dans les Alpes italiennes, où ses parents louent chaque année une petite maison.

C’est depuis ce premier séjour fait au milieu des années 1980 qu’il est devenu ami avec Bruno, un garçon de son âge, petit paysan à moitié sauvage qui lui sert de guide dans ce monde nouveau pour lui. Au fil des ans va ainsi se tisser une amitié discrète, taiseuse et intermitte­nte, qui va durer près de trente ans.

Cela même si la relation qu’il entretient avec la montagne semble être à l’opposé de celle qui anime son père, un chimiste solitaire et rigide qui ne semblait vraiment respirer que dans les hauteurs, accumulant les randonnées dont il traçait ensuite le parcours sur une grande carte. Pietro n’aura jamais réussi à concilier les deux visages de son père, un homme dont il va vite se distancer.

C’est ainsi qu’à seize ans, en révolte, l’adolescent va tourner le dos à Grana et à la montagne. Il n’y reviendra qu’une quinzaine d’années plus tard, faisant peu à peu sien l’amour qu’éprouvaien­t ses parents pour la montagne, tandis qu’il vivote comme réalisateu­r de documentai­res entre Turin et l’Himalaya népalais. À la mort de son père, Pietro apprendra qu’il hérite d’un chalet en ruine dans les hauteurs de Grana, à 2000 mètres d’altitude, une propriété dont ni lui ni sa mère ne connaissai­ent l’existence.

À son retour sur les lieux, rien ne semblait avoir changé. Les ruines, les granges, les tas de fumier sont toujours au même endroit. Le village a échappé au développem­ent sauvage qui a frappé d’autres secteurs. Comme si le temps y passait à une autre vitesse que dans la vallée. Son ami Bruno semble lui aussi ne pas avoir bougé, montagnard impossible à déraciner qui va l’aider à transforme­r en habitation le tas de pierres que son père lui a transmis.

Personnage fier et intègre, mais têtu et parfois borné, Bruno n’est peut-être pas aussi solide qu’il le paraît et devra à son tour accepter de se faire aider par son ami pour construire et solidifier ce qui lui tient vraiment à coeur. Mais un vieux dicton paysan viendra tracer la ligne : « On ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif.»

La vie, la mort, l’amour et l’amitié, la solitude, le travail et les questions de filiation animent en beauté ce roman initiatiqu­e posé au coeur d’une « montagne mourante».

Au moyen d’une écriture sobre et sensible, d’où émane un sentiment de profonde humanité qui n’est pas sans rappeler certains des premiers titres d’Erri De Luca, Cognetti trace d’une main sûre l’histoire poignante d’une amitié fidèle.

Un récit limpide et tout en demi-teinte, zigzaguant entre les cimes et les torrents, les questions et les réponses, et qui s’intéresse par-dessus tout à cette difficile entreprise: trouver sa place dans le vaste monde.

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