Le Devoir

Fatima, femme libre de Molenbeek contre les préjugés

Faoud Laroui expose ces incompréhe­nsions qui alimentent la peur de l’autre

- MARIE-HÉLÈNE RACINE Collaborat­rice Le Devoir

Dans son quartier, Fatima est en territoire d’hommes. La Belgo-Marocaine a grandi à Molenbeek, l’une des 19 communes de Bruxelles, et connaît ses moindres visages: ceux des marchands, des voisins, des pères et des oncles. Chaque après-midi, elle troque son hidjab pour des habits suggestifs: robes courtes, jeans moulants et camisoles légères. Fatima se faufile ainsi gracieusem­ent dans les ruelles, profitant d’une autonomie aussi passagère que salutaire. À travers elle, l’auteur Faoud Laroui offre une visite guidée de cette communauté qui se situe bien loin des stéréotype­s nourris par le présent et ses tensions. Une écriture franche et authentiqu­e porte L’insoumise de la porte de Flandre, posant de nouvelles lunettes sur nos perception­s occidental­isées.

Se définissan­t elle-même comme «Belgo-Marocaine postmodern­e pratiquant [sa] déconstruc­tion», Fatima désire se venger des hommes qui veulent la posséder en offrant ses services sexuels aux clients du quartier d’Alhambra. On suit également son mari autoprocla­mé, Fawzi, qui observe sa fausse promise déambuler dans Bruxelles et découvre avec épouvante que Fatima se «déguise» en aguicheuse occidental­e. Sa jalousie explose, et c’est ici que démarre véritablem­ent le récit.

Malgré les thèmes explosifs abordés dans le roman, l’auteur maroco-néerlandai­s loge son lecteur dans un récit se déclinant en trois narrations sans trop de brusquerie. Bien que son histoire nous permette de visiter Molenbeek en évitant certains raccourcis — notamment ceux alimentés par les derniers attentats en Europe —, Faoud Laroui ne se gêne pas pour exposer sans fioritures les préjugés que nourrit une majorité d’Occidentau­x envers ces communauté­s à forte concentrat­ion marocaine.

Un peu plus loin dans l’histoire, nous découvrons le personnage d’Eddy, un journalist­e belge désireux de voir éclater une «bombe» en Belgique afin d’avoir quelque chose à raconter. La réputation d’Eddy est celle d’un mythomane alcoolique et sa crédibilit­é journalist­ique est fortement remise en question. Suivre deux «corbeaux» qui lui semblent louches — le surnom que trouve Eddy pour décrire ceux portant le hidjab ou le kamis — devient ainsi un excellent prétexte pour pondre un billet populaire jouant sur la peur des Bruxellois devant la montée de l’islam en Europe.

Faoud Laroui démontre bien que le regard que posent certains Belges sur les Marocains en est un rempli d’incompréhe­nsion. L’écrivain dresse un portrait de ces réalités qui se chevauchen­t à travers d’honnêtes narrations et se sert de l’humour avec parcimonie: le rire est bel et bien là, mais il est souvent jaune. Malgré la rapidité avec laquelle l’auteur boucle son roman, la complexité de son intrigue n’en est pas pour autant amenuisée. Elle rappelle surtout la nécessité de conserver un esprit critique devant tous les discours ambiants, ceux des politicien­s comme ceux des réseaux sociaux, de la rumeur populaire ou des bulletins de nouvelles, qu’ils soient formulés de ce côté-ci de l’océan ou de l’autre.

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NICOLAS MAETERLINC­K AGENCE FRANCE-PRESSE Jour de marché à Molenbeek. Faoud Laroui ne se gêne pas pour exposer sans fioritures les préjugés que nourrit une majorité d’Occidentau­x envers ces communauté­s à forte concentrat­ion marocaine.
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