Le Devoir

La loi et le désordre sur glace

Décryptage du métier d’arbitre de hockey

- PHILIPPE PAPINEAU

Mangeux de marde!», «vendu!», «fuck you, ref!»… Voilà un court éventail des mots doux avec lesquels les parents de joueurs de hockey interpelle­nt ceux qui font régner l’ordre sur une patinoire: les arbitres. Dans le documentai­re Arbitres, le journalist­e sportif et scénariste Mathias Brunet et le réalisateu­r Danic Champoux ont plongé dans l’univers de ces mal-aimés pourtant essentiels, mais qui reçoivent leur lot de haine dans les arénas de la province.

L’arbitre, on l’appelle sur la glace le «ref», diminutif de «referee». Sifflet en main, il appelle les hors-jeu, les punitions, confirme les buts et s’assure du bon fonctionne­ment du match. Et, comme en témoigne Arbitres, il doit gérer une dose de mépris et de colère venant non seulement de la glace ou du banc des joueurs, mais aussi des estrades. Et pas seulement lors de matchs profession­nels, mais aussi et surtout chez les amateurs, même tout petits.

«Dès que tu as un sifflet et un chandail d’arbitre, pour beaucoup de gens tu n’es plus un être humain, tu es un arbitre et la notion de respect disparaît complèteme­nt », raconte Mathias Brunet en entrevue au Devoir.

Le documentai­re Arbitres, qui sera diffusé le 2 novembre à Canal D dans la série Docu-D, permet de rencontrer plusieurs officiels amateurs, de tous âges — dont un de 64 ans! — et travaillan­t dans différente­s ligues et différente­s catégories.

On suit plus en détail le jeune Anthony Néron, 17 ans, qui en est à sa deuxième année à porter le chandail noir et blanc, après avoir joué toute sa vie au hockey. Il est encore à apprendre ce métier, mais se questionne sur la suite des choses.

Deux ans et bye bye ? C’est que «les jeunes ne restent pas », dit-on dans le documentai­re. Il y a quelque 5000 arbitres dans la province, mais la relève ne persiste pas, martelée par les cris, les menaces physiques.

Mathias Brunet n’a pas découvert cette violence en faisant le documentai­re, lui qui admet ne pas toujours avoir été un ange sur la glace dans ses ligues «amicales», en plus d’avoir vu de beaux spécimens dans les estrades lors des matchs de ses enfants.

Chez les parents, «il y a beaucoup de blessures narcissiqu­es de l’enfance non résolues, lance Brunet en entrevue. L’arbitre, c’est souvent lui qui a un contrôle sur le destin du match ainsi que — et je mets de gros guillemets — sur la carrière de ton fils. Et souvent, les gens vont dire que les parents rêvent de voir leurs enfants dans la Ligue nationale de hockey, mais au fond c’est juste [le désir] de gagner sur son voisin. Des fois, les parents virent fous même dans les matchs hors-concours… »

Des modèles

Arbitres se base donc sur des témoignage­s d’arbitres amateurs, mais aussi sur ceux d’une poignée de noms connus du sport d’ici: les animateurs radio Mario Langlois et Jean-Charles Lajoie et les anciens arbitres Ron Fournier et Stéphane Auger.

Ce dernier, qui a travaillé longtemps dans la LNH, est particuliè­rement intéressan­t, car il réussit à expliquer avec lucidité et justesse le travail essentiel mais ingrat de l’arbitre. On comprend vite le talent d’Auger lorsqu’on le voit rencontrer le jeune arbitre Anthony Néron pour lui prodiguer quelques conseils.

«C’est le chandail qu’ils haïssent, pas toi», dit-il, ajoutant l’importance comme officiel de se faire une carapace. Le mot reviendra plusieurs fois dans le film.

Dans les gradins

Le documentai­re nous transporte beaucoup sous les néons et les bruyants compresseu­rs des arénas. On est assis sur un banc de bois, dans une pièce mal isolée, avec des casiers graffités, des corridors peu charmants et des tapis de caoutchouc à satiété — pour ne pas abîmer les lames des patins.

On est aussi souvent dans les estrades, sur le bord de la bande, dans le stationnem­ent glacé d’un aréna. Comme lors de cette scène où les arbitres d’un match retournent à leur minibus commun et le retrouvent aspergé de ketchup et recouvert de papier de toilette.

Les moments plus troublants sont issus d’archives, de captations amateurs. Parce que « dès qu’il y a une caméra, ça devient des anges, raconte Mathias Brunet. S’il y avait des documentai­res à chaque match, les arbitres seraient tranquille­s!»

Pourquoi ?

Avec Arbitres, Mathias Brunet voulait «faire découvrir l’être humain derrière le chandail zébré». Lui-même se demandait pourquoi diable quelqu’un voudrait volontaire­ment se placer dans cette position — et pour une poignée de dollars.

Et pourquoi ? «C’est le sens du devoir, dit Brunet. Il y en a beaucoup qui voient ça comme le travail d’un policier. Faire imposer la justice. Il faut que tu sois solide, il faut une bonne confiance en toi, parce que ta satisfacti­on, tu vas la retirer du sentiment du devoir accompli. Parce que tu n’auras pas de tapes dans le dos. Personne ne va venir te voir pour dire “good job”. »

Ultimement, le journalist­e avait envie d’éduquer les gens avec son film. Mais pour avoir déjà écrit un livre sur le hockey mineur et fait les documentai­res Parents Inc. et Bagarreurs Inc., ses ambitions sont plus modestes. « Maintenant, ma philosophi­e c’est : si au moins je réussis à en changer un ou deux, ça serait bien. Mais ça ne sera pas 10 000, parce que ça ne change pas vite.»

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CANAL D Dans le documentai­res Arbitres, des arbitres amateurs ont accepté de se confier à propos de leur fonction mal aimée mais essentiell­e.

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