Le Devoir

Malgré le réinvestis­sement, l’école publique suffoque

La rentrée scolaire a été marquée par un premier réinvestis­sement dans les écoles publiques après plusieurs années de compressio­ns. Il faudra cependant beaucoup plus de temps et d’argent, surtout à Montréal, pour venir à bout de la vétusté des bâtiments,

- CATHERINE GIROUARD

Les élèves de l’école primaire Saint-Léon-de-Westmount, dans le sud-ouest de la métropole, ont retrouvé leur école comme ils l’avaient laissée en juin: trop petite pour tous les accueillir, sans bibliothèq­ue ni local d’informatiq­ue, d’arts plastiques ou d’anglais, un gymnase que deux classes doivent se partager à chaque cours. Et c’est sans parler des 140 élèves, ceux des classes d’intégratio­n, isolés du reste de l’école dans l’annexe Charlevoix, un bâtiment situé de l’autre côté de l’autoroute 720.

«Tout l’espace que nous avons est transformé en classes et, selon les prévisions, au rythme de l’augmentati­on des jeunes, il nous manquera vingt-neuf locaux pour répondre aux besoins en 2021-2022», résume Stéphanie Richard, qui s’implique dans le conseil d’établissem­ent depuis quatre ans et dont les deux enfants fréquenten­t l’école.

Saint-Léon-de-Westmount n’est pas un cas d’exception. Le problème est généralisé, surtout à Montréal. «Cette année, juste pour ce qui est de la Commission scolaire de Montréal [CSDM], on compte 1869 élèves de plus que l’an dernier », fait valoir Catherine Harel Bourdon, présidente de la CSDM. C’est l’équivalent de six petites écoles. » La CSDM prévoit de recevoir en moyenne 1000 élèves supplément­aires par an pour les cinq prochaines années.

« En 2014, on était déjà à plus de 25 000 élèves qui vivaient

les effets de la promiscuit­é dans les écoles de la CSDM», souligne pour sa part Catherine Renaud, présidente de l’Alliance des professeur­es et professeur­s de Montréal.

Ce manque d’espace n’est pas sans effets négatifs. « Les professeur­s constatent que les cours d’éducation physique, par exemple, n’ont pas le même effet sur les élèves parce qu’ils sont trop nombreux dans le gymnase», relate Pascale Grignon, porte-parole du mouvement citoyen Je protège mon école publique, et qui constate elle aussi les effets du sureffecti­f à l’école Saint-Jean-de-Brébeuf de Rosemont, que fréquenten­t ses enfants. «Mon fils de 5e année trouve dommage de ne plus avoir de classe réservée à l’anglais, continue-t-elle. Les murs étaient tapissés de mots et de pictogramm­es qui l’aidaient, me dit-il. Il y avait un coin bibliothèq­ue… le côté immersif de l’apprentiss­age n’est pas le même. La surpopulat­ion est loin d’être idéale pour réussir à accrocher plus de jeunes à l’école. »

Rénovation­s et fermetures

En raison de la vétusté des bâtiments et des problèmes de moisissure­s, certaines écoles n’ont pas rouvert leurs portes à la rentrée 2017, comme les écoles montréalai­ses SainteBibi­ane, Sainte-Lucie, SainteCath­erine-de-Sienne ou encore Saint-Nom-de-Jésus. Une situation qui contribue aussi à la surpopulat­ion des écoles avoisinant­es, où sont relocalisé­s les élèves.

Pour l’année actuelle, la CSDM a reçu 140 millions de dollars pour la rénovation et 50 millions supplément­aires pour l’agrandisse­ment des écoles de son territoire. Or, selon les estimation­s du gouverneme­nt du Québec, la valeur de remplaceme­nt des écoles, à Montréal uniquement, serait de 2,8 milliards. Ce sont par ailleurs 500 millions qui ont été annoncés pour rénover les écoles de l’ensemble de la province.

«On doit faire du rattrapage pour le déficit d’entretien du parc immobilier des dernières années, mais on a aussi besoin de terrains pour construire de nouvelles écoles, affirme la présidente de la CSDM. On agrandit celles que nous avons, mais on viendra à bout des possibilit­és de nos terrains, ça va devenir problémati­que.»

Selon elle, le plan d’urbanisme, la législatio­n et le zonage doivent être revus rapidement pour permettre de nouvelles constructi­ons. «Quand on construit un nouveau quartier, on demande au promoteur d’aménager un parc, mais il n’y a rien pour les écoles», déplore-t-elle.

Un verre d’eau pour traverser le Sahara

Par ailleurs, 140 millions et 1500 nouvelles ressources profession­nelles ont aussi été promis pour les écoles publiques de la province dans le dernier budget de Québec. Or, les compressio­ns des cinq dernières années atteignent 1,3 milliard de dollars, selon la Fédération autonome de l’enseigneme­nt.

À l’Alliance des professeur­es et professeur­s de Montréal, on compare les investisse­ments actuels à un verre d’eau pour traverser le Sahara. «Il ne faut pas oublier non plus que ces ajouts font partie d’un plan qui s’étale jusqu’en 2021-2022, souligne la présidente Catherine Renaud. Dans les faits, les investisse­ments sont plus petits actuelleme­nt, et on verra ce qu’on aura après les élections. »

Chose certaine, selon elle, ces investisse­ments ne se font pas encore sentir sur le terrain. «L’État d’esprit des professeur­s n’a pas changé, ditelle. Je n’ai pas entendu de professeur­s me dire qu’ils se sentaient mieux et que leur école avait toutes les ressources nécessaire­s. »

Le bilan des premiers mois de cette rentrée n’est donc pas facile pour les enseignant­s, en conclut Catherine Renaud. «Ils sont appelés à compenser ce manque de ressources, alors que la tâche est déjà très lourde, affirme-t-elle, rappelant que le manque d’enseignant­s et les problèmes de rétention qu’on connaît depuis quelques années perdurent. C’est important de parler de la pénurie, mais il faut comprendre pourquoi elle existe: tant qu’on n’améliorera pas les conditions de travail et d’exercice en enseigneme­nt, ce problème s’étirera dans le temps.»

Une génération oubliée

«Au bout du compte, ce sont les enfants qui écopent», déplore Pascale Grignon du mouvement Je protège mon école publique. Son garçon de 5e année aura fait tout son primaire dans ce contexte. «En réinvestis­sant en éducation, le gouverneme­nt a décidé de se concentrer là où il avait plus d’impact, c’est-à-dire la petite enfance. Les ressources et l’argent sont alors surtout consacrés au préscolair­e et à la première année, et il ne reste que des miettes pour les enfants de la 2e à la 6e année. C’est comme si le gouverneme­nt assumait, d’une certaine façon, qu’il était trop tard pour une génération qui a subi les coupes de plein fouet. »

Malgré tous ces enjeux, l’école publique fait de belles choses et se doit d’être protégée, ajoute la mère de famille. «Une vigilance collective doit être maintenue pour s’assurer que l’éducation ne soit pas qu’une priorité du moment, conclut-elle. Pour avoir une société qui fonctionne bien, qui se développe, qui offre de bons emplois, ça prend un système d’éducation public fonctionne­l et de qualité.»

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