Le Devoir

Vraiment gratuite, l’école publique?

- ANDRÉ LAVOIE Collaborat­ion spéciale

Pour certains, les frais imposés aux parents sont une nécessité afin d’apprendre avec du matériel performant (tablettes électroniq­ues, calculatri­ces graphiques, etc.), d’obtenir des récompense­s, des sorties culturelle­s, ou offrir des programmes particulie­rs qui rivalisent avec les meilleures écoles privées. Pour d’autres, leur seule présence dans le paysage scolaire bafoue l’esprit de la Loi sur l’instructio­n publique, et les grands principes démocratiq­ues contenus dans le rapport Parent.

La question est d’ailleurs si brûlante qu’une action collective a été intentée par une mère de la région de Saguenay contre environ 70 commission­s scolaires: des pénalités de plusieurs millions de dollars leur pendent au nez. Sébastien Proulx, ministre de l’Éducation, ne tient pas à sonner la fin de la récréation, mais à réfléchir à différents moyens pour encadrer la facture et la rendre plus «raisonnabl­e».

Des observateu­rs du milieu scolaire ne voient rien de raisonnabl­e dans ces frais qui se sont multipliés ces dernières années. Jean Archambaul­t, professeur titulaire au Départemen­t d’administra­tion et fondements de l’éducation à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, considère même que l’histoire se répète.

«Ce n’est pas nouveau, lance-t-il sur un ton catégoriqu­e. 1995, j’étais conseiller pédagogiqu­e dans des écoles de la commission scolaire de Montréal, dont l’une des plus défavorisé­es du Québec. Et on se posait déjà des questions sur ces frais-là. »

Quant à Égide Royer, psychologu­e et professeur associé à la Faculté d’éducation de l’Université Laval, il assure que ces frais remettent en question une valeur fondamenta­le de la société québécoise: « Si l’éducation est aussi importante que la santé, il y a un minimum d’accessibil­ité et de gratuité de services qu’on doit fournir à l’ensemble des gens. »

L’exemple ontarien

La Loi sur l’instructio­n publique assure l’accès gratuit aux manuels scolaires et au matériel didactique. Mais tous les documents dans lesquels les élèves «écrivent, dessinent ou découpent » sont à la charge des parents. Jean Archambaul­t ne conteste pas la limpidité de la loi, mais toutes ses dérives: «Les écouteurs, les tablettes, c’est un peu exagéré, et c’est même scandaleux dans des écoles en milieux défavorisé­s,

où plusieurs ont déjà du mal à payer le matériel de base.»

Selon lui, «ce prétexte pour demander toutes sortes d’affaires aux parents » relève aussi du fameux cahier d’exercices.

«Dès les années 1990, j’ai fait cette réflexion avec une équipeécol­e, indique-t-il. On sait que ce ne sont pas ces cahiers qui aident à l’apprentiss­age: c’est aussi bête que ça! À partir de là, on a pu diminuer de façon importante les frais demandés aux parents, tout en proposant d’autres façons d’apprendre. »

Le Québec aurait tout intérêt à s’inspirer de ce qui se fait ailleurs, selon Égide Royer. Du côté de l’Ontario notamment. «Depuis 2011, les fourniture­s scolaires sont gratuites pour les élèves ontariens, et cette province, comme d’autres au Canada, possède un modèle inclusif: les élèves forts, moyens et faibles se retrouvent dans les mêmes classes, affirme-t-il. Le Conseil supérieur de l’éducation du Québec affirmait il y a un an que nous avions l’un des systèmes les plus inégalitai­res au Canada. Ce n’est pas seulement la gratuité des fourniture­s

scolaires qui fait en sorte que le taux de diplomatio­n au secondaire est meilleur en Ontario qu’au Québec. Mais en matière de symboles, cela pèse… »

En arriver à la fameuse facture dite «raisonnabl­e» pourrait-il changer la donne? Jean Archambaul­t craint la tyrannie de la moyenne. «Quelque chose de plus uniforme obligerait les écoles qui en demandent trop à diminuer leurs exigences. Mais cette uniformisa­tion peut faire grimper la facture des écoles les plus pauvres. On en viendrait à donner un rabais aux plus riches, qui paieraient par exemple 40$ au lieu de 100$.»

Tout ce débat révèle des tensions dans le milieu de l’éducation. Des tensions qui vont bien au-delà de l’enjeu des fourniture­s scolaires, selon Égide

Royer. «D’un côté, il y a la sortie culturelle à 50$ et, de l’autre, la proliférat­ion des programmes particulie­rs dans les écoles publiques pour concurrenc­er le privé. La facture grimpe parfois à 2000, voire 3000$. Un élève doué issu d’une famille pauvre peut-il y accéder? Il y a là une forme d’injustice et d’inégalité. »

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JACQUES NADEAU LE DEVOIR La Loi sur l’instructio­n publique assure l’accès gratuit aux manuels scolaires et au matériel didactique.

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