Vraiment gratuite, l’école publique?
Pour certains, les frais imposés aux parents sont une nécessité afin d’apprendre avec du matériel performant (tablettes électroniques, calculatrices graphiques, etc.), d’obtenir des récompenses, des sorties culturelles, ou offrir des programmes particuliers qui rivalisent avec les meilleures écoles privées. Pour d’autres, leur seule présence dans le paysage scolaire bafoue l’esprit de la Loi sur l’instruction publique, et les grands principes démocratiques contenus dans le rapport Parent.
La question est d’ailleurs si brûlante qu’une action collective a été intentée par une mère de la région de Saguenay contre environ 70 commissions scolaires: des pénalités de plusieurs millions de dollars leur pendent au nez. Sébastien Proulx, ministre de l’Éducation, ne tient pas à sonner la fin de la récréation, mais à réfléchir à différents moyens pour encadrer la facture et la rendre plus «raisonnable».
Des observateurs du milieu scolaire ne voient rien de raisonnable dans ces frais qui se sont multipliés ces dernières années. Jean Archambault, professeur titulaire au Département d’administration et fondements de l’éducation à la Faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal, considère même que l’histoire se répète.
«Ce n’est pas nouveau, lance-t-il sur un ton catégorique. 1995, j’étais conseiller pédagogique dans des écoles de la commission scolaire de Montréal, dont l’une des plus défavorisées du Québec. Et on se posait déjà des questions sur ces frais-là. »
Quant à Égide Royer, psychologue et professeur associé à la Faculté d’éducation de l’Université Laval, il assure que ces frais remettent en question une valeur fondamentale de la société québécoise: « Si l’éducation est aussi importante que la santé, il y a un minimum d’accessibilité et de gratuité de services qu’on doit fournir à l’ensemble des gens. »
L’exemple ontarien
La Loi sur l’instruction publique assure l’accès gratuit aux manuels scolaires et au matériel didactique. Mais tous les documents dans lesquels les élèves «écrivent, dessinent ou découpent » sont à la charge des parents. Jean Archambault ne conteste pas la limpidité de la loi, mais toutes ses dérives: «Les écouteurs, les tablettes, c’est un peu exagéré, et c’est même scandaleux dans des écoles en milieux défavorisés,
où plusieurs ont déjà du mal à payer le matériel de base.»
Selon lui, «ce prétexte pour demander toutes sortes d’affaires aux parents » relève aussi du fameux cahier d’exercices.
«Dès les années 1990, j’ai fait cette réflexion avec une équipeécole, indique-t-il. On sait que ce ne sont pas ces cahiers qui aident à l’apprentissage: c’est aussi bête que ça! À partir de là, on a pu diminuer de façon importante les frais demandés aux parents, tout en proposant d’autres façons d’apprendre. »
Le Québec aurait tout intérêt à s’inspirer de ce qui se fait ailleurs, selon Égide Royer. Du côté de l’Ontario notamment. «Depuis 2011, les fournitures scolaires sont gratuites pour les élèves ontariens, et cette province, comme d’autres au Canada, possède un modèle inclusif: les élèves forts, moyens et faibles se retrouvent dans les mêmes classes, affirme-t-il. Le Conseil supérieur de l’éducation du Québec affirmait il y a un an que nous avions l’un des systèmes les plus inégalitaires au Canada. Ce n’est pas seulement la gratuité des fournitures
scolaires qui fait en sorte que le taux de diplomation au secondaire est meilleur en Ontario qu’au Québec. Mais en matière de symboles, cela pèse… »
En arriver à la fameuse facture dite «raisonnable» pourrait-il changer la donne? Jean Archambault craint la tyrannie de la moyenne. «Quelque chose de plus uniforme obligerait les écoles qui en demandent trop à diminuer leurs exigences. Mais cette uniformisation peut faire grimper la facture des écoles les plus pauvres. On en viendrait à donner un rabais aux plus riches, qui paieraient par exemple 40$ au lieu de 100$.»
Tout ce débat révèle des tensions dans le milieu de l’éducation. Des tensions qui vont bien au-delà de l’enjeu des fournitures scolaires, selon Égide
Royer. «D’un côté, il y a la sortie culturelle à 50$ et, de l’autre, la prolifération des programmes particuliers dans les écoles publiques pour concurrencer le privé. La facture grimpe parfois à 2000, voire 3000$. Un élève doué issu d’une famille pauvre peut-il y accéder? Il y a là une forme d’injustice et d’inégalité. »