Enseigner, ou le parcours du combattant
Parmi les 65 000 profs du Québec, plusieurs ne se présenteront pas en classe lundi matin. Après mûre réflexion, ils auront difficilement choisi d’abandonner une carrière dans l’enseignement. Et les études montrent qu’ils sont nombreux. Mais qu’est-ce qui
Marie-Soleil Desaulniers enseigne à SaintÉlie-de-Claxton. Eh oui! dans le beau village de Fred Pellerin. Chanceuse? Disons plutôt obstinée. Si elle n’a pas abandonné, c’est grâce au soutien de son entourage et à une force de caractère hors du commun. Aujourd’hui, Marie-Soleil a un poste permanent, alors qu’il lui aura fallu huit ans pour l’obtenir… Huit années faites de suppléances et de remplacements, de petits mandats ou de contrats à temps partiel. Et pourtant, ça n’a rien d’exceptionnel, puisqu’il faut en moyenne cinq ans pour obtenir un poste permanent. Pendant toutes ces années, Marie-Soleil aurait aimé être mieux soutenue. Depuis, un programme d’insertion professionnelle a été mis sur pied dans sa commission scolaire, mais ce dernier n’a pas trouvé l’appui souhaité. Elle a fait de son expérience un mémoire de maîtrise dans lequel elle tente de comprendre les effets du mentorat, ses réussites et ses obstacles. À la base de ce travail: le décrochage enseignant.
Cette année, la Commission scolaire de l’Énergie a mis en place un nouveau programme de soutien à l’insertion professionnelle qui tente de corriger les lacunes du précédent.
Des débuts difficiles
En 2014-2015, année scolaire sur laquelle les travaux de Marie-Soleil Desaulniers sont basés, le mentorat offert à la Commission scolaire de l’Énergie n’atteint pas le niveau de participation souhaité. Si le mentorat offre plusieurs avantages sur le plan professionnel, la mesure d’insertion professionnelle ainsi que la clientèle ciblée font partie des obstacles à son implantation.
Car c’est pendant les premières années, quand un enseignant arrive dans la profession, qu’il a le plus besoin d’aide. «On est alors sensibles aux facteurs liés à l’environnement social. On a peur du jugement; celui des parents, celui des collègues et celui de la direction. C’est le moment où on se sent vulnérables», raconte l’enseignante. Avant une permanence, cette source de stress s’ajoute à celles de recevoir des appels pour des suppléances à la dernière minute, de devoir se déplacer constamment sur l’immense territoire de la commission scolaire et de devoir faire face à des classes difficiles. « Tout ça mis ensemble, ça fait qu’on songe constamment au décrochage.» Selon les statistiques, parmi les enseignants qui débutent et qui sont sous contrat, l’envie de quitter l’enseignement est présente chez 37%. Mais quand il est question d’enseignants aux prises avec des statuts précaires, le pourcentage monte à 76%. «La plupart ne s’imaginent pas faire ça toute leur vie. C’est alarmant!»
Pourtant, la situation n’est pas récente. On peut remonter à la réforme de la formation à l’enseignement de 1992. On décrète alors que l’obtention d’un brevet d’enseignement n’est plus basée sur les années probatoires. « On devait alors remplacer la mesure par un dispositif d’insertion professionnelle, mais rien n’obligeait les commissions scolaires à le faire», rappelle
l’enseignante, qui ajoute que «ce n’est qu’en 2013-2014 que le gouvernement conditionne le financement à la mise sur pied d’un tel dispositif ».
Dans les années 1990 à 2010, les structures d’accueil des nouveaux enseignants se réduisaient au strict minimum. C’était à chacun d’aller vers les enseignants d’expérience pour recevoir un peu d’aide. 90 % des mesures de l’époque étaient informelles et non structurées. Pour qu’un bon programme d’insertion professionnelle soit mis en place, cela nécessite du mentorat, des ateliers de formation ou encore une plateforme Web où les enseignants peuvent échanger entre eux. « Ce que j’aurais aimé, c’est du concret! J’avais besoin de solutions. Un forum de discussions m’aurait beaucoup aidée»,
lance Marie-Soleil Desaulniers.
Des mesures efficaces pour tous
Les mesures de mentorat implantées à la Commission scolaire de l’Énergie n’ont pas reçu l’accueil escompté. Les raisons invoquées par les profs interrogés par Marie-Soleil? Le manque de temps et la peur du jugement… «C’est quand même une mesure mise en place par l’employeur, dit Marie-Soleil. Et on se dit que ça pourrait être perçu négativement d’avoir besoin d’aide.» Aujourd’hui, le nouveau programme d’insertion comporte une trousse de suppléance: «J’aurais tellement aimé avoir ça!»
De plus, au niveau du bac en enseignement, les cours de réflexion sur la pratique ont été remodelés : «Il n’y a pas une année où je fais les mêmes choses, où j’ai les mêmes difficultés. J’ai toujours à me remettre en question», raconte
Marie-Soleil.
Par ailleurs, les réseaux sociaux sont appelés à jouer un rôle de soutien important auprès des profs. «L’isolement est un facteur important du décrochage, note Marie-Soleil. Des groupes de discussion sur Facebook rejoignent de nombreux enseignants. Ils brisent l’isolement et on y trouve beaucoup d’entraide. »