Deux nouveautés qui causent un malaise
Un cours d’éducation à l’économie ajouté à la dernière minute au cursus, un projet-pilote d’éducation à la sexualité qui tarde à s’imposer dans toutes les écoles: des acteurs du milieu de l’éducation expriment un malaise quant aux méthodes d’implantation
D’abord, il y a eu l’abandon de l’éducation à la sexualité il y a plus d’une décennie, au moment de la réforme, pour l’enseigner désormais de manière « transversale », que ce soit dans les cours de biologie, d’éducation physique ou encore par l’entremise des dissertations dans les cours de français. Puis, il y a deux ans, le ministère a implanté un projet-pilote visant à réintroduire la matière, mais seulement sur une base volontaire. À ce jour, moins de 10% des écoles du Québec ont relevé le défi.
« On fait appel à des volontaires pour livrer le cours; ce peut être des enseignants, mais aussi n’importe quel membre du personnel de l’école, et cela n’a pas nécessairement lieu durant les heures de classe, explique la présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ), Josée Scalabrini. Un enseignant peut intégrer la matière à ses cours, mais celle-ci peut aussi, par exemple, être présentée pendant une activité ayant lieu le midi. »
À la suite des nombreuses dénonciations d’agressions et de harcèlement sexuels ayant récemment fait les manchettes, le ministre de l’Éducation, Sébastien Proulx, a affirmé la semaine dernière jongler avec l’idée de ramener dans le cursus obligatoire dès la rentrée 2018 le cours d’éducation à la sexualité.
Si Mme Scalabrini estime que ce serait là une bonne chose, elle craint que cela se fasse dans la précipitation. «À ce jour, il n’y a eu aucune rencontre du comité consultatif et il n’y en a toujours aucune au programme,
indique-t-elle. On va encore se retrouver au printemps à devoir gérer cela en catastrophe.»
Elle en appelle aussi à la prudence, en raison de la délicatesse de la matière, estimant qu’il faut bien préparer le matériel didactique et les méthodes
d’enseignement. «Quand j’enseignais l’éducation à la sexualité dans mes classes, j’avais toujours avec moi une travailleuse sociale,
illustre-t-elle. Il faut tenir compte des lacunes dans les connaissances sur la sexualité dans certains milieux. C’est délicat. »
La sexualité, ce tabou
Daniel Chartrand, 54 ans, enseigne la géographie à l’école secondaire Honoré-Mercier,
dans le quartier montréalais de Ville-Émard. Son école ne fait pas partie des établissements scolaires québécois ayant choisi de prendre part au projet-pilote d’éducation à la sexualité.
À titre de professeur expérimenté, mais surtout de parent, tient-il à préciser, il estime néanmoins que le retour généralisé et obligatoire de cette matière serait une excellente
affaire. «À l’époque où la matière était enseignée dans le cours de formation personnelle et sociale, elle était très appréciée par les élèves, se souvientil. Ce n’est pas une bonne chose que ceux-ci soient désormais obligés d’être des autodidactes. Les jeunes du secondaire sont souvent très innocents, surtout en 1re et 2e secondaire. Ce sont encore des enfants. Il y a des garçons qui ne savent même pas ce que sont les menstruations.»
M. Chartrand indique par ailleurs que, dans le milieu où il enseigne, il y a beaucoup de familles monoparentales. Les parents travaillent, sont occupés et ne sont pas nécessairement à l’aise avec le fait de parler de ces questions avec leurs enfants. Sans compter la situation des jeunes nés au sein de familles immigrantes, où la question de la sexualité est souvent taboue.
Précipitation dénoncée
Pour ce qui est du nouveau cours d’éducation à l’économie, ce dernier vise à démystifier les notions de consommation, de crédit, d’épargne, de
budget, de pouvoir d’achat, de marché du travail, d’impôt et de financement des études supérieures, soit autant de matières utiles pour les jeunes, estiment Daniel Chartrand et Josée Scalabrini.
Le problème réside plutôt à leur avis dans la méthode de mise en place des cours, qui aurait été précipitée. « On a demandé aux profs en juillet dernier de choisir lequel des cinq blocs de matière du cours Monde
contemporain ils voulaient retirer pour faire de la place au module d’économie, explique
Mme Scalabrini. Certains ont passé l’été à plancher là-dessus, mais comme plusieurs étaient absents pour les vacances, le ministère s’est finalement ravisé et a choisi pour tout le monde.»
De fait, les maisons d’édition ont dû travailler en catastrophe et le matériel didactique est arrivé au milieu du mois d’août.
La présidente de la FSE assure que «l’ensemble des enseignants sont déçus». «Le cours Monde contemporain était issu de nombreuses consultations. Malheureusement, les décisions sont prises par des personnes qui ne connaissent pas la réalité quotidienne des salles de classe et qui ne consultent pas. »
Pour sa part, Daniel Chartrand avait déjà enseigné l’ancien cours d’éducation à l’économie il y a une quinzaine d’années, ce qui l’a bien servi cet automne. «Bien des jeunes collègues ont dû prendre connaissance de la matière presque en même temps que leurs étudiants, raconte-t-il. À ma connaissance, il n’y a pas eu de formation offerte à la commission scolaire de Montréal. C’est étrange, toute cette précipitation. Il n’y a même pas eu de projet-pilote, rien. J’en arrive à la conclusion qu’il s’agit d’une décision politique.»
Fait ironique, l’enseignant souligne que le cours, qui aborde la prévention de l’endettement, est bien souvent donné par de très jeunes enseignants qui sortent de l’université et qui sont criblés de dettes.
Nécessaire reconnaissance
Bien qu’elle se soit opposée à l’époque au retrait des deux matières aujourd’hui réintroduites, parce que « cela avait été fait sans en évaluer les conséquences », Josée Scalabrini ne passe pas par quatre chemins pour dénoncer la manière dont les choses sont gérées par le ministère.
«On nous présente comme une bonne nouvelle l’ajout de deux nouveaux cours alors qu’en fait, on essaie de recoller les pots cassés en ramenant des matières qui n’auraient jamais dû être retirées du cursus. Et on le fait de mauvaise manière, sans consulter et en s’y prenant à la dernière minute, déplore-telle. Après, on dit que les enseignants ont peur du changement. Non mais, pourriez-vous seulement tenir compte de notre réalité?»