Au-delà du quotient intellectuel
«Un élève doué, ce n’est pas nécessairement un élève qui réussit bien à l’école », affirme Myriam Lemire, directrice adjointe des ressources éducatives de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys. Pour certains, le milieu scolaire peut même représenter une sorte de traversée du désert, car ces jeunes ont soif d’apprendre «et il faut être capable de leur
donner à boire», explique la directrice adjointe. C’est ce défi que relève la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, particulièrement depuis les cinq dernières années avec la mise en place d’un programme de douance à l’école secondaire Paul-Gérin-Lajoie-d’Outremont (PGLO), et tout récemment à l’école primaire Marguerite-Bourgeoys, de Pointe-Claire. Car au même titre que les jeunes souffrant d’un déficit d’attention ou de dyslexie, ces élèves ont des besoins particuliers, besoins que les écoles ne peuvent pas toujours combler, ou simplement détecter.
Myriam Lemire reconnaît que plusieurs élèves doués s’adaptent très bien au système scolaire ordinaire, et que l’ensemble de ces élèves représente un faible pourcentage de la population, «autour de 2%». Mais tous les autres en revanche, pour lesquels la salle de classe ressemble ni plus ni moins à une salle d’attente, posent un défi tout aussi grand aux enseignants, à leurs camarades, sans compter les parents, inquiets devant leur progéniture parfois désoeuvrée et flirtant avec l’idée de tout laisser tomber.
D’autres considérations ont aussi guidé les acteurs de la Commission scolaire MargueriteBourgeoys, dont celle d’aller bien au-delà des simples plans d’intervention à l’égard de certains élèves doués. Pour la direction de PGLO, il fallait aussi prendre en compte leur position géographique. « Nous sommes situés au coeur
d’Outremont », souligne Gaëtane Marquis, directrice, et donc à deux pas d’établissements réputés comme les collèges privés Jean-de-Brébeuf et Notre-Dame. « C’était aussi une façon de faire la promotion de l’école publique. Nous sommes déjà reconnus pour nos programmes artistiques,
dont la concentration art dramatique qui vient de célébrer ses vingt-cinq ans d’existence, mais en plus d’un milieu sain et sécuritaire, les parents et les jeunes ont exprimé le désir d’avoir des projets stimulants. Pour nous, c’est devenu la douance.»
Il ne faut pas confondre ce programme avec ceux de la filière enrichie, et qui répond aussi à un besoin. Devant les élèves doués, le constat fut assez simple pour Christian Girouard, directeur adjoint de PGLO: «On ne veut pas que nos élèves s’ennuient, car c’est souvent ce qui mène au décrochage scolaire. Avant, on leur donnait plus de devoirs, même s’ils avaient déjà compris… » Maintenant, pour la centaine d’élèves doués inscrits à PGLO et répartis entre la première et la quatrième secondaire, le programme doit être assimilé pendant les deux tiers de l’année scolaire, le dernier tiers étant consacré à des projets particuliers.
Il s’agit principalement d’aventures artistiques et scientifiques, offertes en collaboration avec l’Office national du film du Canada et l’Université de Montréal — elle aussi dans le voisinage de PGLO — par l’entremise du projet SEUR (Sensibilisation aux études, à l’université et à la recherche). «C’est surtout destiné aux décrocheurs pour leur permettre de vivre des journées à l’université et de se dire: ce n’est pas si pire que ça! explique Christian Girouard. Pour nos élèves doués, c’est l’occasion d’être accompagnés par un mentor, d’assister à des conférences, des expériences qui leur permettent de mener leurs projets à terme.»
Qu’est-ce qu’un élève doué?
À la lumière de toutes ces expériences et de toutes ces activités, on pourrait croire qu’elles ne sont destinées qu’à ceux et celles pour qui les sciences, les mathématiques et les langues ne représentent aucune difficulté, voire un jeu… d’enfants. «Nous ne sommes pas dans une définition pure de la douance, tient à préciser Gaëtane Marquis, surtout par rapport au quotient intellectuel. » Une position que confirme
Myriam Lemire. «Il faut vraiment établir un portrait de l’enfant, regarder toutes les facettes de son développement, ses besoins; certains peuvent
aller à PGLO, et d’autres rester dans l’école de leur quartier, mais avec toutes les stimulations dont ils ont besoin. Si on se basait uniquement sur le quotient intellectuel, on perdrait de grands pans de la personnalité de l’enfant. »
C’est pourquoi, selon Christian Girouard, on peut retrouver à l’intérieur d’une même classe des élèves un peu plus timides, d’autres avec des résultats scolaires convenables, mais qui pratiquent un sport sur la scène internationale, ou certains forts en sciences éprouvant des difficultés en français. Alors, oubliez le mythe de l’élève doué qui réussit absolument tout à 95%. «Ce n’est pas le cas», affirme le directeur adjoint de PGLO.
Or, en cette époque de valorisation de la performance, où l’esprit de compétition tend à contaminer toutes les sphères de la société, dont l’éducation, la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys sent-elle une pression indue
venant de la part des parents qui jugent, eux, que leur enfant cadre parfaitement dans la cohorte des doués? Myriam Lemire conserve
toujours la même ligne directrice. «Quand on s’adresse aux parents, on s’adresse à leur coeur; quand ils s’adressent à nous, c’est à notre côté plus cérébral. Et c’est une saine distance pour bien évaluer leur enfant. Je pense que le fait d’avoir mis de côté les tests de quotient intellectuel aide aussi les parents à mieux saisir leur enfant dans son entièreté. Notre travail, c’est de les accompagner, tout comme on accompagne les enfants, ainsi que le personnel. »
Pour elle comme pour ses collègues de PGLO, la douance, c’est un défi parmi tant d’autres dans le vaste champ de ce que l’on nomme l’adaptation scolaire, avec ses particularités, ses embûches et ses réussites. «Il faut apprendre à
vivre avec, conclut Myriam Lemire. C’est comme un cadeau de la vie… qu’on doit bien déballer.»