Le Devoir

Au-delà du quotient intellectu­el

- ANDRÉ LAVOIE

«Un élève doué, ce n’est pas nécessaire­ment un élève qui réussit bien à l’école », affirme Myriam Lemire, directrice adjointe des ressources éducatives de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys. Pour certains, le milieu scolaire peut même représente­r une sorte de traversée du désert, car ces jeunes ont soif d’apprendre «et il faut être capable de leur

donner à boire», explique la directrice adjointe. C’est ce défi que relève la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys, particuliè­rement depuis les cinq dernières années avec la mise en place d’un programme de douance à l’école secondaire Paul-Gérin-Lajoie-d’Outremont (PGLO), et tout récemment à l’école primaire Marguerite-Bourgeoys, de Pointe-Claire. Car au même titre que les jeunes souffrant d’un déficit d’attention ou de dyslexie, ces élèves ont des besoins particulie­rs, besoins que les écoles ne peuvent pas toujours combler, ou simplement détecter.

Myriam Lemire reconnaît que plusieurs élèves doués s’adaptent très bien au système scolaire ordinaire, et que l’ensemble de ces élèves représente un faible pourcentag­e de la population, «autour de 2%». Mais tous les autres en revanche, pour lesquels la salle de classe ressemble ni plus ni moins à une salle d’attente, posent un défi tout aussi grand aux enseignant­s, à leurs camarades, sans compter les parents, inquiets devant leur progénitur­e parfois désoeuvrée et flirtant avec l’idée de tout laisser tomber.

D’autres considérat­ions ont aussi guidé les acteurs de la Commission scolaire Marguerite­Bourgeoys, dont celle d’aller bien au-delà des simples plans d’interventi­on à l’égard de certains élèves doués. Pour la direction de PGLO, il fallait aussi prendre en compte leur position géographiq­ue. « Nous sommes situés au coeur

d’Outremont », souligne Gaëtane Marquis, directrice, et donc à deux pas d’établissem­ents réputés comme les collèges privés Jean-de-Brébeuf et Notre-Dame. « C’était aussi une façon de faire la promotion de l’école publique. Nous sommes déjà reconnus pour nos programmes artistique­s,

dont la concentrat­ion art dramatique qui vient de célébrer ses vingt-cinq ans d’existence, mais en plus d’un milieu sain et sécuritair­e, les parents et les jeunes ont exprimé le désir d’avoir des projets stimulants. Pour nous, c’est devenu la douance.»

Il ne faut pas confondre ce programme avec ceux de la filière enrichie, et qui répond aussi à un besoin. Devant les élèves doués, le constat fut assez simple pour Christian Girouard, directeur adjoint de PGLO: «On ne veut pas que nos élèves s’ennuient, car c’est souvent ce qui mène au décrochage scolaire. Avant, on leur donnait plus de devoirs, même s’ils avaient déjà compris… » Maintenant, pour la centaine d’élèves doués inscrits à PGLO et répartis entre la première et la quatrième secondaire, le programme doit être assimilé pendant les deux tiers de l’année scolaire, le dernier tiers étant consacré à des projets particulie­rs.

Il s’agit principale­ment d’aventures artistique­s et scientifiq­ues, offertes en collaborat­ion avec l’Office national du film du Canada et l’Université de Montréal — elle aussi dans le voisinage de PGLO — par l’entremise du projet SEUR (Sensibilis­ation aux études, à l’université et à la recherche). «C’est surtout destiné aux décrocheur­s pour leur permettre de vivre des journées à l’université et de se dire: ce n’est pas si pire que ça! explique Christian Girouard. Pour nos élèves doués, c’est l’occasion d’être accompagné­s par un mentor, d’assister à des conférence­s, des expérience­s qui leur permettent de mener leurs projets à terme.»

Qu’est-ce qu’un élève doué?

À la lumière de toutes ces expérience­s et de toutes ces activités, on pourrait croire qu’elles ne sont destinées qu’à ceux et celles pour qui les sciences, les mathématiq­ues et les langues ne représente­nt aucune difficulté, voire un jeu… d’enfants. «Nous ne sommes pas dans une définition pure de la douance, tient à préciser Gaëtane Marquis, surtout par rapport au quotient intellectu­el. » Une position que confirme

Myriam Lemire. «Il faut vraiment établir un portrait de l’enfant, regarder toutes les facettes de son développem­ent, ses besoins; certains peuvent

aller à PGLO, et d’autres rester dans l’école de leur quartier, mais avec toutes les stimulatio­ns dont ils ont besoin. Si on se basait uniquement sur le quotient intellectu­el, on perdrait de grands pans de la personnali­té de l’enfant. »

C’est pourquoi, selon Christian Girouard, on peut retrouver à l’intérieur d’une même classe des élèves un peu plus timides, d’autres avec des résultats scolaires convenable­s, mais qui pratiquent un sport sur la scène internatio­nale, ou certains forts en sciences éprouvant des difficulté­s en français. Alors, oubliez le mythe de l’élève doué qui réussit absolument tout à 95%. «Ce n’est pas le cas», affirme le directeur adjoint de PGLO.

Or, en cette époque de valorisati­on de la performanc­e, où l’esprit de compétitio­n tend à contaminer toutes les sphères de la société, dont l’éducation, la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys sent-elle une pression indue

venant de la part des parents qui jugent, eux, que leur enfant cadre parfaiteme­nt dans la cohorte des doués? Myriam Lemire conserve

toujours la même ligne directrice. «Quand on s’adresse aux parents, on s’adresse à leur coeur; quand ils s’adressent à nous, c’est à notre côté plus cérébral. Et c’est une saine distance pour bien évaluer leur enfant. Je pense que le fait d’avoir mis de côté les tests de quotient intellectu­el aide aussi les parents à mieux saisir leur enfant dans son entièreté. Notre travail, c’est de les accompagne­r, tout comme on accompagne les enfants, ainsi que le personnel. »

Pour elle comme pour ses collègues de PGLO, la douance, c’est un défi parmi tant d’autres dans le vaste champ de ce que l’on nomme l’adaptation scolaire, avec ses particular­ités, ses embûches et ses réussites. «Il faut apprendre à

vivre avec, conclut Myriam Lemire. C’est comme un cadeau de la vie… qu’on doit bien déballer.»

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ISTOCK La douance est un défi parmi tant d’autres dans le vaste champ de l’adaptation scolaire, selon Myriam Lemire, directrice adjointe des ressources éducatives de la Commission scolaire Marguerite-Bourgeoys.

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