Le Devoir

Espoirs déçus au coeur de l’Amérique industriel­le.

- ISABELLE PARÉ

Dans la petite ville de Waynesburg en Pennsylvan­ie, «capitale» de l’industrie du charbon où l’on pioche le sol de père en fils, Blair Zimmerman, élu démocrate pour le comté de Greene, vient d’être mis au parfum de la dernière nouvelle du jour. Dans les petits cafés de la rue principale, la fermeture imminente d’une mine de la compagnie Dana Mining est de toutes les conversati­ons. Cinq cents travailleu­rs seront bientôt sur le carreau.

Il y a un an, en pleine campagne, Trump avait pourtant promis de remettre l’industrie du charbon sur ses rails et inondé la région de pancartes claironnan­t « Trump digs coal». Pour galvaniser la colère de tous ces «angry white men» mis à pied par une industrie en déclin, il s’était proclamé «ami du charbon propre» et avait même adopté un casque de mineur pour chauffer Hillary Clinton dans cet État-pivot. Un an après sa fracassant­e victoire en Pennsylvan­ie, les sourires sontils revenus sur le visage de «ces hommes blancs en colère »?

«Non!» tonne Blair Zimmerman, ex-maire de Waynesburg, qui a boulonné 40 ans dans les mines et assisté à la lente agonie de la principale industrie du comté. «Ces promesses, c’était de la rhétorique. Le charbon n’est pas une ressource renouvelab­le et la réalité, c’est qu’il FAUT se tourner vers d’autres options. Trump n’a rien fait ici depuis son élection. Bien des gens ont voté pour lui, mais ils ne voient toujours pas les changement­s arriver», affirme le commissair­e du comté de Greene.

Espoirs de jours meilleurs

Mais Bob Wilson, un mineur qui vient d’être rappelé par la mine Cumberland, la toute dernière mine «syndiquée» de l’État de Pennsylvan­ie, ne partage pas le pessimisme du commissair­e. «Il y a eu des améliorati­ons, mais l’industrie subit encore les effets des règlements adoptés sous Obama. Trump nous aide, mais on craint toujours que les démocrates défassent ce qui a été fait en matière de déréglemen­tation. Du charbon propre, ça existe

déjà. La preuve, c’est que des compagnies d’ici ont beaucoup investi pour

réduire leurs émissions», insiste le mineur, tout juste sorti d’un quart de travail de 18 heures sous terre.

Le problème, dit-il, au volant de son camion cahotant sur les routes de Holbrook, à deux pas de la Virginie-Occidental­e, c’est que toute l’économie régionale repose depuis toujours sur la seule industrie minière. Peu d’options s’offrent aux mineurs de carrière, laissés en plan. C’est pour cette raison que Bob Wilson, durant son chômage forcé d’un an, a cofondé le site Web C.O.A.L. (Career Opportunit­ies After Lay-Offs), histoire d’aider ses collègues à trouver du boulot, des prêts bancaires… et des banques alimentair­es.

Un site qui sera bien utile quand les 500 travailleu­rs de la mine Dana se retrouvero­nt le bec à l’eau dans quelques mois.

S’il ne peut empêcher les mines de fermer, Trump ne peut-il pas aider les travailleu­rs à se recycler? «Pour ça, il faudrait convaincre d’autres industries de s’implanter ici. Et cela, c’est encore plus difficile », insiste Wilson, admettant qu’un jour, il devra aussi trouver un autre emploi ou démarrer sa propre entreprise.

Nuages noirs sur le comté de Greene

Mais faire une croix sur les mines, c’est dire adieu à la prospérité pour des milliers de travailleu­rs qui ont empoché de faramineux salaires pour forer le sol des Appalaches. Depuis quatre ans, 33% des emplois de l’industrie du charbon ont disparu dans la région. Pas étonnant que les troupes de Trump aient raflé le comté de Greene avec 40 points d’avance.

Le démocrate Zimmerman convient que la transition ne sera pas un «pique-nique» pour les mineurs. Mais y a-t-il d’autres choix ?

«Parce que c’est un travail à haut risque où l’on travaille en heures supplément­aires, les gars des mines font plus de 100 000$ par année, vivent avec une grosse maison, deux autos. Se recycler, ça signifie une baisse de salaire, des épouses qui doivent retournent au travail et payer pour une garderie. C’est

difficile à prendre», dit-il. Dans ce coin de pays affecté d’un taux de pauvreté de 14%, où les autres emplois ne rapportent guère plus de 30 000 $ à 40 000 $, un abîme sépare la réalité des travailleu­rs miniers du reste de la population. Même si Trump a laminé les démocrates des comtés ruraux en novembre 2016, le commissair­e Zimmerman ne désespère tout de même pas de voir ces concitoyen­s

changer leur fusil d’épaule dans un an, aux élections de mi-mandat. «En fait, je n’ai pas grand-chose à faire. Il s’autodétrui­t lui-même ! Les gens ne sont pas aveugles.»

D’ici là, Zimmerman espère seulement que le rejet de l’Obamacare, caressé depuis toujours par Trump, ne verra jamais le

jour. «Les gens d’ici seraient très affectés, car plusieurs ne gagnent pas plus de 8 ou 9$ l’heure, et n’ont pas du tout les moyens de payer des primes d’assurance maladie.»

Déception à Pittsburgh

Un an après l’élection-surprise de Trump, la désillusio­n rôde aussi du côté de Pittsburgh, l’ancien coeur

industriel de la Pennsylvan­ie. «Il y a eu beaucoup d’espoir quand Trump a dit qu’il taxerait l’acier de la Chine pour redonner des emplois aux métallos d’ici. Mais maintenant, plusieurs voient que les gars continuent à perdre leur job et ne voient pas

l’économie remonter », affirme Jim Johnston, président du syndicat local de l’United Steel Workers (USW) de l’usine de Braddock, pas très loin de Pittsburgh. Pour l’instant, seuls les nouveaux contrats de la Défense nationale font vivoter son usine, car la demande pour les tubes d’acier a dégringolé depuis l’abandon de nombreux projets de pipeline. Avec l’automatisa­tion des emplois, l’arrivée de nouvelles technologi­es de production et la transition énergétiqu­e, la tendance n’est pas près de s’inverser.

Rencontré l’an dernier, Ed Yancovich, vice-président de l’United

Mine Workers of America (UMWA), se désespérai­t déjà de voir ces collègues placer tous leurs espoirs dans l’élection de Trump. Son syndicat, éternel partisan des démocrates, a dû rester neutre depuis 2012, compte tenu de la lente désaffecta­tion des travailleu­rs à l’endroit de son parti.

Il comprend que plusieurs de ses membres, sans avenir, boivent les paroles de Trump, s’y accrochant comme à une bouée de secours. «Les gens pensent encore que ça va arriver. Mais il n’y a pas eu de renaissanc­e, pas plus d’investisse­ments dans l’industrie du charbon. Quelques mines ont rouvert, mais tout ça, ce n’est pas dû à la politique. Pourquoi ? Parce que c’est la valeur marchande qui décide!»

L’UMWA, qui comptait 12 000 mineurs dans ses rangs il y a 20 ans, n’en recense plus que 500 aujourd’hui, déplore Yancovich.

Pour faire face à l’amère réalité, il faudrait investir dans la formation des travailleu­rs, mais son syndicat ne dispose plus que de miettes pour ce faire. «Il y a 20 ans, on avait tous les budgets pour former et les recycler. Plusieurs de nos ex-mineurs sont devenus pilotes d’avion, d’autres camionneur­s pour l’industrie du gaz et certains, infirmiers! Mais cette année, on n’a plus que 60 000$ pour ça. Les républicai­ns ont coupé dans tous les programmes de formation », peste-t-il.

Une trahison

Dans le premier budget soumis au Congrès par le gouverneme­nt Trump, les fonds accordés à l’Appalachia­n Regional Commission — l’organisme économique qui aide les États de la région à se relever du déclin manufactur­ier — ont été sabrés de 430 millions. Une véritable trahison, estime Yancovich. Tout un paradoxe, alors que les travailleu­rs de 400 comtés sur les 420 qui reçoivent le soutien de l’ARC ont massivemen­t voté pour Trump et joué un rôle décisif dans sa victoire en Pennsylvan­ie.

Avec la menace du retrait de l’Obamacare qui plane, Yancovich ne voit pas l’avenir d’un bon oeil pour ses travailleu­rs. «Je vais vous dire, c’est très difficile. Tout le monde devrait avoir droit à l’assurance maladie, comme au Canada. À bien à penser, je crois que je vais prendre ma retraite au Cap Breton!»

Faire une croix sur les mines, c’est dire adieu à la prospérité pour des milliers de travailleu­rs

 ??  ?? Dale Travis, un mineur de la Virginie-Occidental­e, attendait avec des collègues le discours prononcé par Scott Pruitt, de l’Environmen­tal Protection Agency, à la mine de charbon Harvey, à Sycamore en Pennsylvan­ie, en avril dernier. M. Pruitt, un climatosce­ptique, a déclaré à cette occasion que «l’assaut réglementa­ire» sur l’industrie du charbon était terminé.
Dale Travis, un mineur de la Virginie-Occidental­e, attendait avec des collègues le discours prononcé par Scott Pruitt, de l’Environmen­tal Protection Agency, à la mine de charbon Harvey, à Sycamore en Pennsylvan­ie, en avril dernier. M. Pruitt, un climatosce­ptique, a déclaré à cette occasion que «l’assaut réglementa­ire» sur l’industrie du charbon était terminé.
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JUSTIN MERRIMAN GETTY IMAGES AGENCE FRANCE-PRESSE

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