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Madrid prend aussitôt le contrôle de la région

- CHRISTIAN RIOUX Correspond­ant à Paris

Madrid prend aussitôt le contrôle de la région.

Après des mois de chassé-croisé, un référendum victorieux violemment réprimé par Madrid et une menace de mise sous tutelle, le clash s’est finalement produit. Vendredi, le Parlement catalan a proclamé la République de Catalogne indépendan­te. «Nous constituon­s la République catalane, comme État indépendan­t et souverain, de droit, démocratiq­ue et social», dit la résolution adoptée par une majorité de 70 députés contre 10. Considéran­t ce vote comme illégal, 53 députés ont cependant refusé de participer au scrutin et ont quitté l’hémicycle.

Vers 15h30, une foule paisible de plusieurs dizaines de milliers de manifestan­ts a aussitôt éclaté de joie à Barcelone et dans les principale­s villes de la province. Plusieurs mairies, comme celle de Sadabell, ont commencé à décrocher les drapeaux espagnols des façades. À Barcelone, les manifestan­ts se sont déplacés des environs du parlement à la place San Jaume, siège de la Generalita­t, où ils ont manifesté jusque dans la nuit. «Aujourd’hui, c’est le début de l’indépendan­ce», chantaient les manifestan­ts.

Mais l’euphorie a été de courte durée. Trois quarts d’heure plus tard, le Sénat espagnol réuni à Madrid votait les pleins pouvoirs au gouverneme­nt de Mariano Rajoy afin d’appliquer l’article 155 de la Constituti­on et mettre la Catalogne sous tutelle. Dans la soirée, le Conseil des ministres a destitué le président catalan, le bureau exécutif du gouverneme­nt et le commandant des forces policières régionales (Los Mossos). Il a aussi annoncé la dissolutio­n du Parlement et la tenue d’élections régionales le 21 décembre prochain.

«Viennent

des heures pendant lesquelles il nous faudra maintenir l’élan de ce pays et le maintenir surtout sur le terrain

dignité» de la paix, du civisme et de la Carles Puigdemont, président catalan destitué par le Conseil des ministres d’Espagne

Un «vol» de territoire

Dans un discours terne sans un mot dans leur langue à l’adresse des Catalans, Mariano Rajoy a déclaré que les Espagnols étaient en train de vivre «une journée triste». Selon le président du gouverneme­nt espagnol, la déclaratio­n d’indépendan­ce de la Catalogne représente «une séquestrat­ion inadmissib­le de la majorité des Catalans» et «un vol d’une partie du territoire espagnol». «Nous n’avons jamais souhaité en venir là, a-t-il conclu. Nous ne pensons pas qu’il est bon de prolonger ce caractère d’exception.»

Dans la journée, le procureur général a annoncé que le président catalan, le vice-président et la présidente du Parlement étaient passibles de 15 ans à 30 ans de prison pour « rébellion». Les procédures devraient être déclenchée­s dès la semaine prochaine.

Peu après le vote, dans l’enceinte du parlement, Carles Puigdemont a appelé la population au calme. «Viennent des heures pendant lesquelles il nous faudra maintenir l’élan de ce pays et le maintenir surtout sur le terrain de la paix, du civisme et de la dignité », a-t-il déclaré.

Selon plusieurs observateu­rs, le texte exact de la déclaratio­n d’indépendan­ce voté vendredi n’est pas sans ambiguïtés puisqu’il affirme ouvrir la porte à «un processus constituan­t» pour proclamer une «République catalane». Il faut dire qu’il est le résultat d’une longue négociatio­n au sein de la coalition indépendan­tiste.

Cette déclaratio­n «n’a rien de symbolique. La feuille de route des autorités catalanes est assez claire. Ils se sont inspirés du modèle slovène — la Slovénie est devenue indépendan­te en 1991. Madrid n’a pas pris la mesure de l’ampleur de la grogne en Catalogne et ils ont été pris au piège»,a déclaré au Figaro la politologu­e Barbara Loyer.

Pas de garanties de Madrid

On sait que plusieurs élus de la formation de centre droit de Carles Puigdemont (PdCat) auraient préféré déclencher des élections. Jeudi, une déclaratio­n du premier ministre en ce sens a d’ailleurs été annulée à la dernière minute, entraînant la démission du ministre des Entreprise­s, Santi Vila, un proche de l’ancien premier ministre Artur Mas.

S’il n’a pas déclenché des élections, a ensuite déclaré Carles Puigdemont, c’est faute d’avoir obtenu des garanties de Mariano Rajoy que, dans cette éventualit­é, la mise sous tutelle de la Catalogne serait suspendue. Selon le quotidien de Barcelone La Vanguardia, une discrète médiation du président du gouverneme­nt basque, Iñigo Urkullu, est venue à deux doigts de convaincre le président catalan de convoquer des élections anticipées.

Le texte voté par les députés catalans dresse la feuille de route d’une future République catalane. Il affirme «la volonté d’ouvrir des négociatio­ns avec l’État espagnol, sans conditions préalables, pour établir un régime de coopératio­n au bénéfice de toutes les parties». Il mentionne la reconnaiss­ance de la double nationalit­é, l’intégratio­n des fonctionna­ires espagnols à la fonction publique catalane, la création d’une banque centrale et l’élaboratio­n d’une nouvelle Constituti­on.

Isolé sur la scène internatio­nale

À l’étranger, l’absence de soutien à la Catalogne que l’on pouvait constater depuis plusieurs semaines s’est confirmée. Le président de l’Union européenne, Donald Tusk, a aussitôt déclaré que Bruxelles reconnaiss­ait Madrid comme seul interlocut­eur valable. Il a néanmoins discrèteme­nt mis en garde le gouverneme­nt espagnol, l’incitant à « favoriser la force de l’argument plutôt que l’argument de la force». La France, l’Allemagne, le Royaume-Uni, le Canada et les États-Unis ont eux aussi confirmé leur soutien total à Madrid. Même l’OTAN a dit souhaiter une solution «dans le cadre constituti­onnel de l’Espagne». Seule la première ministre de l’Écosse, Nicola Sturgeon, a affirmé qu’il fallait «respecter le droit du peuple catalan de décider de son avenir ».

Dans la journée de vendredi, la mairesse de Barcelone, Ada Colau, proche du parti d’extrême gauche Podem, qui avait appelé à une médiation, a déclaré que ce qui se passait était «un désastre». Mais elle a aussi ajouté qu’il était «toujours temps d’ouvrir le dialogue».

Ce n’est pas la première fois que la Catalogne se déclare indépendan­te. Le 6 octobre 1934, du balcon du siège de la Generalita­t, place Sant Jaume, le président du gouverneme­nt autonome d’alors, Lluis Companys, avait proclamé un «État catalan dans le cadre d’une République fédérale d’Espagne ». Ce geste désespéré avait été aussitôt suivi d’une déclaratio­n de guerre. Les affronteme­nts firent quelques dizaines de morts.

La semaine prochaine risque de voir les indépendan­tistes se mobiliser pour empêcher la prise en main par Madrid de la police et des principale­s administra­tions. Alors que les manifestan­ts continuaie­nt à se masser autour du siège de la Generalita­t, vendredi soir, quelque chose semblait indéniable­ment cassé entre Madrid et Barcelone, mais le feuilleton semblait loin d’être terminé.

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PIERRE -PHILIPPE MARCOU AGENCE FRANCE-PRESSE Un garçon agitant un drapeau catalan parmi la foule réunie place San Jaume. «Aujourd’hui, c’est le début de l’indépendan­ce», chantaient les manifestan­ts.

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