Le Devoir

Plus de 18 000 Québécois en attente de physiothér­apie

- ISABELLE PORTER à Québec

Plus de 18 000 patients sont sur une liste d’attente pour voir un physiothér­apeute au Québec. Et le temps d’attente pour se faire traiter est si long dans le réseau public que cela risque d’accroître le nombre de personnes souffrant de maladies chroniques, constatent des chercheurs dans une récente étude.

Certains de ces patients ont été dirigés vers un physiothér­apeute par leur médecin de famille en raison de douleurs aiguës au dos, par exemple. D’autres se sont fait envoyer en réadaptati­on à la suite d’une opération.

Dans 16% des cas, ils attendent depuis plus d’un an. Les chercheurs sonnent l’alarme parce qu’à partir de six mois l’attente pour ce type de soins risque d’avoir des conséquenc­es graves sur la santé mentale de la personne et sur sa qualité de vie. «Cette situation est particuliè­rement inquiétant­e pour les gens qui souffrent de maladies chroniques, dont on sait qu’ils comptent pour la majorité des personnes sur listes d’attente», peut-on lire dans une étude publiée cet automne dans le journal scientifiq­ue Disability and Rehabilita­tion. « Il est possible que des douleurs aiguës se transforme­nt en maladies chroniques en raison des délais d’attente. »

Plus d’une personne sur cinq consulte au moins une fois par année pour des troubles musculo-squelettiq­ues. Et dans la majorité des établissem­ents publics, les demandes de physiothér­apie sont en hausse depuis trois ans.

Selon une auteure de l’étude, Kadija Perreault, on n’avait jamais eu accès à ce type de données auparavant. Pour les obtenir, on a

contacté les responsabl­es des listes d’attente de tous hôpitaux du Québec où l’on donne des soins en physiothér­apie aux adultes. Presque tous ont répondu (99%). « C’était tellement une source de préoccupat­ion pour eux que c’était extrêmemen­t important de participer à l’étude », explique la chercheuse basée au Départemen­t de physiothér­apie de l’Université Laval.

Les résultats ne sont toutefois pas une surprise pour elle. «J’ai travaillé comme physiothér­apeute dans le réseau public pendant de nombreuses années et c’est ce que je voyais comme clinicienn­e, qu’il y avait un déclin dans l’accès.»

Attente sous-estimée

Le manque d’accès à des soins en physiothér­apie dérange aussi les médecins de famille qui, selon un sondage mené dans tout le Canada, se disent insatisfai­ts de l’accès dans 77 % des cas.

Les auteurs de l’étude soupçonnen­t par ailleurs de nombreux médecins de ne plus diriger leurs patients vers des physiothér­apeutes du réseau public parce que l’attente est trop élevée. La liste d’attente de 18 000 personnes serait dès lors sous-estimée, indiquent-ils dans l’étude.

L’étude ne permet pas par ailleurs de voir dans quelle mesure l’accès a diminué ces dernières années puisque c’est la première fois qu’on documente le phénomène. Par contre, le tiers des établissem­ents sondés font état d’une baisse de personnel depuis trois ans.

Au ministère de la Santé, on reconnaît l’existence du problème. «L’accès aux soins est une préoccupat­ion pour le MSSS, qui souhaite que l’usager puisse bénéficier d’un itinéraire plus fluide et accessible », a répondu une porte-parole.

Le ministère confirme en outre que la demande pour des services en physiothér­apie est en croissance, ce qui « exige une gestion rigoureuse des listes d’attente des centres de réadaptati­on ». La décision a donc été prise, dit-on, de prioriser «les clientèles ayant des besoins multidisci­plinaires ». Bref, on traite en priorité les cas lourds dans les centres de réadaptati­on par rapport aux soins offerts dans les hôpitaux et les cliniques externes.

Le ministère souligne par ailleurs que le nombre de physiothér­apeutes a augmenté ces dernières années passant de 1784 il y a sept ans à 1907 aujourd’hui.

Pire à Québec qu’ailleurs

L’étude ne permet pas de savoir dans quelle proportion les gens se font traiter dans le réseau privé. On sait par contre que 43 % des physiothér­apeutes au Canada travaillen­t pour des cliniques à but lucratif.

Or l’accès à des services gratuits est jugé crucial parce que des recherches antérieure­s ont montré que les personnes à faible revenu étaient plus nombreuses à souffrir de troubles musculo-squelettiq­ues.

Dans une autre étude publiée cet automne, le chercheur Simon Deslaurier­s, de l’Université d’Ottawa, a montré que l’accès à des soins en physiothér­apie pour les personnes à faible revenu variait énormément d’une région à l’autre. Si l’on se fie à ses travaux, les personnes à faible revenu qui ont de gros problèmes de dos ont beaucoup moins de chances d’être traitées si elles vivent dans la région de Québec.

Ainsi, on compte plus de 4000 personnes à faible revenu qui ont des troubles musculosqu­elettiques pour chaque physiothér­apeute dans la région de la capitale, selon l’étude publiée dans le Journal of Evaluation in Clinical Practice. Montréal suit avec 2500 patients, Chaudière-Appalaches avec 2200 et ainsi de suite jusqu’aux régions éloignées, où le ratio est de moins de 500 personnes par physiothér­apeute disponible.

 ?? AARON VINCENT ELKAIM LA PRESSE CANADIENNE ?? L’attente en physiothér­apie s’accroît au Québec.
AARON VINCENT ELKAIM LA PRESSE CANADIENNE L’attente en physiothér­apie s’accroît au Québec.

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