Le Devoir

Vae victis, une chronique de François Brousseau

- François Brousseau est chroniqueu­r d’informatio­n internatio­nale à Radio-Canada. francobrou­sso@hotmail.com FRANÇOIS BROUSSEAU

En s’attirant les foudres d’une Constituti­on espagnole blindée contre l’autodéterm­ination catalane, dans un affronteme­nt où les dés étaient pipés — puisqu’un des deux camps «disait le droit», le faisait appliquer et avait derrière lui une communauté internatio­nale soudée, qui ne veut rien entendre d’autre —, Carles Puigdemont a-t-il desservi sa cause?

Voilà une des questions auxquelles les indépendan­tistes catalans, et leur président destitué par la main lourde de l’article 155 (qui permet la mise en tutelle de la Catalogne autonome), devront répondre au cours des prochaines semaines.

Ils sont allés au mur. Un mur pourtant très visible, très haut, jaune et rouge, en béton armé. Et ils pourraient, demain, le payer très cher.

La proclamati­on de la «République indépendan­te catalane», vendredi dans un Parlement régional déserté par 40% de ses membres, qui boycottaie­nt l’exercice, s’apparentai­t à un baroud d’honneur… probableme­nt vain et même contre-productif.

Le camp indépendan­tiste — il est vrai fracturé en plusieurs tendances — n’a pas voulu (ou pu) considérer le référendum controvers­é du 1er octobre comme une victoire morale qui aurait permis, face à des vents contraires, de faire une pause et de «prendre date» pour l’avenir.

Une victoire manifestem­ent insuffisan­te pour faire le «grand saut», mais avec une participat­ion après tout honorable (43%), si l’on considère le boycottage des adversaire­s et la répression violente des forces loyalistes espagnoles. «Victoire symbolique» sur laquelle le mouvement aurait néanmoins pu s’asseoir… dans une sorte de retraite stratégiqu­e visant le long terme.

C’est ce qu’aurait représenté le choix, sérieuseme­nt envisagé jusqu’à jeudi matin, puis rejeté

in extremis par Carles Puigdemont, de déclencher lui-même, pour le 22 décembre, des élections autonomes anticipées.

Un pari jouable, d’autant qu’outre les 48% de vote indépendan­tiste aux élections de 2015, il y avait eu 9% aux alliés catalans du parti Podemos, la tendance de la mairesse de Barcelone, Ada Colau.

Non-indépendan­tistes mais partisans résolus du droit à l’autodéterm­ination et à un référendum légal, ceux-là, vendredi dernier, ont voté contre la DUI (déclaratio­n unilatéral­e)… mais sont restés au Parlament catalan pour déposer leurs bulletins.

Dans ces conditions, une réaffirmat­ion de la force des nationalis­tes aurait été possible. Mais les plus radicaux (la CUP, Unité populaire d’extrême gauche, et plusieurs représenta­nts de la Gauche républicai­ne ERC) ne voulaient rien savoir d’un tel «pas de côté» stratégiqu­e.

Au lieu de quoi, après le passage en force de la DUI et la réponse automatiqu­e de l’éléphant «155», Puigdemont et ses alliés ont perdu l’initiative.

«L’autre camp» — celui du nationalis­me espagnol, exacerbé, enragé même par ce défi impudent — voudra maintenant pousser son avantage au maximum. Écrabouill­er un adversaire, une «bête immonde» à laquelle on n’a jamais reconnu la moindre légitimité. Selon l’impitoyabl­e Vae victis («Malheur aux

vaincus!»), on va tenter maintenant d’expédier le perdant aux poubelles de l’Histoire. Et se convaincre que cette «folie» (c’est ainsi qu’à Madrid on qualifie, de toutes parts, le mouvement indépendan­tiste catalan, qui pour eux relève de la psychiatri­e) n’était qu’un mauvais rêve… dont il faut désormais effacer toutes les traces.

Le «retour de bâton» s’annonce terrible pour les Catalans… même si les stratèges de Madrid ont peut-être un peu appris de leurs erreurs passées de «gros éléphants». Eux qui, depuis 2010, ont alimenté cette crise par leurs négligence­s, leurs provocatio­ns et leur ignorance.

Il faudra voir, par exemple, si le gouverneme­nt central fera preuve de retenue dans la mise au pas et «l’épuration» qui s’annonce («retour à la légalité», selon la litote officielle). Il faudra voir si la résistance sera forte, aux différents niveaux de l’administra­tion catalane. S’il y aura — ou non — de grosses manifestat­ions et des répression­s policières.

Après ces épuisantes montagnes russes, le mouvement nationalis­te va-t-il entrer dans une sorte de léthargie dépressive? Ou va-t-il tenter, malgré des conditions terribles (défaite historique, divisions internes…), de jouer quand même le jeu des élections du 21 décembre imposées par Madrid ?

On doit espérer qu’après cet épouvantab­le coup de massue, les nationalis­tes catalans, impeccable­ment pacifistes dans leur histoire (au contraire des nationalis­tes basques), sauront éviter la fuite en avant dans la violence.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada