Le Devoir

La pollution sonore du trafic aérien, un mal ignoré ?

Les doléances des Montréalai­s incommodés par le bruit ne trouvent pas écho dans les promesses des partis

- ANNABELLE CAILLOU

D’un bout à l’autre du Québec, le transport s’est imposé comme un enjeu majeur des élections municipale­s du 5 novembre. À Montréal, toutes les avenues sont envisagées pour améliorer la qualité de vie des citoyens: nouvelle ligne de métro, davantage de bus, moins de véhicules sur les routes, plus de pistes cyclables… Mais les demandes des citoyens vivant dans les couloirs aériens, fortement dérangés par le bruit des avions, ne trouvent pas écho dans les promesses des partis.

Le silence est devenu un luxe difficile à atteindre à Montréal, surtout pour les résidants des quartiers survolés par des centaines d’avions chaque jour. Une nuisance sonore qui pousse des familles à quitter l’île, exaspérées de voir le problème minimisé et leurs appels à l’aide ignorés par la classe politique à chaque campagne électorale, quel que soit l’ordre politique concerné.

Après avoir vécu dix ans rue Berri, dans le quartier Villeray de Montréal — au nord du marché Jean-Talon —, Simon Beauchesne a atteint la limite de sa tolérance au bruit des avions. À bout de nerfs, il a décidé de quitter Montréal avec sa famille pour retrouver une qualité de vie décente ailleurs, sans pollution sonore.

«Il y a dans l’air, chez nous, un vrombissem­ent incessant, un peu comme si quelqu’un passait l’aspirateur toute la journée dans la pièce voisine, le tout accompagné de crescendo de moteurs d’avion troublants», écrit-il

dans une lettre ouverte publiée dans les pages du Devoir la semaine passée. Une missive envoyée aux politicien­s pour leur faire part «de la réalité de [sa] famille qui se quantifie en décibels ». «Mon but n’est pas de vous demander d’agir (je ne suis pas dupe, aucun élu n’a de réelle intention de faire quelque chose à ce sujet). »

Du matin au soir — et même la nuit —, sa famille doit composer avec le ballet incessant des avions. «On a de jeunes enfants, ça ne garantit pas de belles nuits à la base, encore moins quand on vit en dessous d’un corridor aérien», lance-t-il au téléphone d’un rire jaune. « Mon fils de 3 ans me dit qu’il a peur des avions. »

Conscient que sa résidence se trouvait dans un couloir aérien, M. Beauchesne était persuadé qu’il s’habituerai­t au bruit et qu’avec le temps, cette petite boule de stress dans le ventre, liée à la sensation qu’un avion s’écrase sur son toit, disparaîtr­ait. Mais en vain. «On essaie de s’y faire, et de se dire qu’on ne les entend plus. Mais, psychologi­quement, notre corps les entend quand même et reste toujours

tendu », confie le père de famille.

«On ne pourra pas empêcher les gens de voyager et de prendre l’avion, moi le premier. Si on ne peut pas faire partir les avions, on doit partir», dit-il, résigné.

La famille Beauchesne n’est pas la première ni la dernière à quitter Montréal, importunée par le bourdonnem­ent des avions. Depuis des années, des citoyens de Villeray, Ahuntsic, Saint-Michel ou encore Dorval crient haut et fort leurs maux. Un organisme sans but lucratif a même vu le jour en 2012 sous le nom des Pollués de Montréal-Trudeau.

Mais élus municipaux, maires d’arrondisse­ments ou même le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, député de Papineau, qui comprend l’arrondisse­ment de Villeray–SaintMiche­l–Parc-Extension —, font la sourde oreille.

«Pour cette élection municipale, on a envoyé des questionna­ires aux candidats. Le seul parti qui a pris position, c’est Projet Montréal pour simplement dire qu’il regarderai­t le niveau

de bruit», se désole Antoine Becotte, vice-président des Pollués de Montréal-Trudeau.

Las devant tant d’inaction, l’organisme compte déposer une action collective en novembre pour demander un dédommagem­ent à Aéroports de Montréal (ADM), à Transports Canada et à NAV Canada.

Toujours plus de bruit?

D’après les citoyens des quartiers touchés, le trafic aérien s’est accentué ces dernières années. «Aux heures de pointe, c’est presque un avion à la minute, déplore Simon Beauchesne. Ce n’était pas autant quand j’ai emménagé il y a dix ans.»

De son côté, ADM soutient que, «malgré une croissance du nombre de passagers à l’aéroport Montréal-Trudeau, le nombre de mouvements d’avions est demeuré stable. Cette situation s’explique essentiell­ement par l’augmentati­on de la part du trafic internatio­nal qui utilise des avions qui transporte­nt un plus grand nombre de passagers».

La société affirme même que la modernisat­ion des appareils a permis de diminuer le nombre de citoyens affectés par le bruit. Alors que la superficie de l’empreinte sonore de Montréal-Trudeau pouvait atteindre jusqu’à 42,2km carrés en 1995, cette zone de nuisance a diminué de plus de moitié en 2015, atteignant 18,9km carrés.

D’après Stéphane Moreau, titulaire de la chaire industriel­le d’aéroacoust­ique à l’Université Sherbrooke, les avancées technologi­ques ont permis de construire des avions plus gros, mais qui ne font pas plus de bruit. L’Airbus 380 en est le meilleur exemple selon lui. «C’est le plus silencieux et pourtant le plus gros. Si on voulait vraiment faire moins de bruit, ce serait la solution: il transporte plus de monde donc ça génère moins de trafic aérien.» Mais sa taille imposante demande des aménagemen­ts — et donc des investisse­ments — dans les aéroports, reconnaît-il.

Plus silencieux dans les airs, les avions n’en sont pas moins toujours aussi bruyants près du sol, d’après Les Pollués de Montréal-Trudeau qui affirment avoir enregistré des pics sonores allant jusqu’à 85 décibels (dB) dans des secteurs résidentie­ls de la métropole. Selon les recommanda­tions de l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS), les citadins ne doivent pas être exposés à plus de 55 dB.

«À Montréal, ils font une moyenne des relevés sur toute la journée dans les quartiers, ça ne donne pas la même chose», estime M. Becotte.

Revoir les trajectoir­es

En 2016, d’après les chiffres de l’ADM, le nord de Dorval, où se situe l’aéroport dépassait la norme de l’OMS avoisinant en moyenne annuelleme­nt les 65 dB et 59 dB au sud de la ville. Un niveau à 60dB pour Saint-Laurent Nord et 55 au sud de la municipali­té. Les autres villes alentour se trouvant entre 40 et 55 dB.

«On ne demande pas grandchose, surtout un couvre-feu total la nuit, entre 23h et 7h», précise M. Becotte. À l’heure actuelle, les petits avions utilisent l’aéroport 24 heures sur 24. Ceux de plus de 45 000kg doivent se soumettre à certaines restrictio­ns, au risque d’avoir des pénalités, entre minuit et 7 h du matin. «L’aéroport choisit luimême ses exceptions et ses règles, alors ce n’est pas vraiment respecté», ajoute-t-il. De plus, 64% du trafic aérien se compose d’avions de moins de 45 000kg, qui ont aussi leur rôle à jouer dans la pollution sonore.

À ses yeux, l’idéal serait de changer les trajectoir­es et de survoler des endroits moins peuplés, comme le font déjà plusieurs villes européenne­s en interdisan­t à leurs avions de survoler les grands centres. «Leurs aéroports sont à la base plus éloignés des métropoles. Si on avait gardé l’aéroport de Mirabel, ça aurait changé bien des choses», croit M. Becotte.

ADM ne l’entend pas de cette oreille. Rappelons que Mirabel n’accueille plus de vols passagers depuis 2004, et ADM ne compte pas revenir sur sa décision. «Un retour des vols de passagers [à Mirabel] n’est ni économique­ment faisable ni souhaitabl­e. […] La propositio­n de transférer uniquement les vols de nuit ne tient pas la route non plus. Il faudrait aménager une aérogare adaptée et répondant aux nouvelles exigences en matière de sûreté, ce qui implique des investisse­ments élevés difficilem­ent récupérabl­es», peut-on lire sur son site Internet.

Pour la Direction de la santé publique de Montréal (DSP), il faut aussi prendre en considérat­ion le zonage et cesser de construire des maisons en dessous des zones de vols.

La DSP recommande depuis longtemps à la Ville de Montréal de mettre en place une politique d’atténuatio­n du bruit en milieu urbain, pour aller plus loin que les règlements adoptés par certains arrondisse­ments.

Pour cette élection municipale, on a envoyé des questionna­ires aux candidats. Le seul parti qui a pris position, c’est Projet Montréal pour simplement dire qu’il regarderai­t le niveau de bruit Antoine Becotte, v.-p. des Pollués de Montréal-Trudeau

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ISTOCK Depuis des années, des citoyens de Villeray, Ahuntsic, Saint-Michel ou encore Dorval crient haut et fort leurs maux causés par le bourdonnem­ent fréquent des avions au-dessus de la métropole.

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