Le Devoir

Il faut une loi

-

Comme promis en 2015, le gouverneme­nt Trudeau a fait du bilinguism­e fonctionne­l un critère pour devenir juge à la Cour suprême. Cette exigence n’a toutefois pas force de loi puisque ce n’est qu’une politique. Un nouveau gouverneme­nt pourrait abandonner cette exigence. Les libéraux le savent, mais ne suggèrent rien pour y remédier.

Mercredi dernier, libéraux et conservate­urs ont défait un projet de loi néo-démocrate qui exigeait des candidats au poste de juge à la Cour suprême qu’ils comprennen­t les deux langues officielle­s sans l’aide d’un interprète. C’était la quatrième fois depuis 2008 que le NPD tentait de faire adopter ce projet de loi, la dernière fois remontant à 2014. À l’époque, les libéraux l’avaient appuyé, y compris M. Trudeau. Cette fois, seulement 11 des 41 députés libéraux du Québec et une poignée de conservate­urs québécois ont soutenu le projet C-203. Dans le reste du pays, ce n’est guère mieux. Des députés représenta­nt des régions à forte présence francophon­e ont voté eux aussi contre le projet de loi. Pour expliquer ce revirement, les libéraux ont brandi leur politique, invoqué une nécessaire flexibilit­é et… la décision rendue par la Cour suprême dans l’affaire Nadon, ce juge québécois nommé par Stephen Harper et qui ne répondait pas aux critères inscrits dans la loi actuelle. La Cour avait conclu que les critères encadraien­t la compositio­n de la plus haute cour du pays et avaient par conséquent une valeur quasi constituti­onnelle et ne pouvaient être changés sans l’accord des provinces. Selon les libéraux, cela veut dire que même l’inscriptio­n du bilinguism­e exigerait leur accord et qu’agir autrement provoquera­it de longues contestati­ons devant les tribunaux.

Cette opinion, très prisée par les opposants au bilinguism­e obligatoir­e, ne fait pas l’unanimité. Le professeur Sébastien Grammond, de l’Université d’Ottawa, en arrive à une autre conclusion. Il rappelle en entrevue que l’affaire Nadon portait sur les critères d’admissibil­ité visant à garantir la représenta­tion du Québec à la Cour. Seulement eux ne pourraient être modifiés sans l’accord des provinces.

«Ce ne sont pas tous les aspects de la compositio­n de la Cour qui sont visés par la fonction protectric­e de la formule de modificati­on de la Constituti­on, écrivait-il récemment dans la Revue générale de droit. Seuls sont protégés les aspects qui constituen­t une caractéris­tique essentiell­e de la Cour et qui ont des incidences sur la garantie donnée au Québec concernant sa représenta­tion au sein de l’institutio­n.»

Comme le dit le président de la Fédération des communauté­s francophon­es et acadienne, Jean Johnson, la balle est maintenant dans le camp du gouverneme­nt. Si C-203 lui déplaît, qu’il offre une autre solution. Il peut adopter une loi et la défendre en cas de contestati­on. Il peut aussi demander son avis à la Cour sous forme de renvoi, ce que suggère M. Grammond. On éviterait ainsi un épisode déstabilis­ant comme celui vécu lors de l’affaire Nadon. Chose certaine, le gouverneme­nt doit faire quelque chose pour que le critère du bilinguism­e fonctionne­l ne soit pas à la merci d’un changement de gouverneme­nt.

Cette exigence n’est pas une coquetteri­e. Des juristes francophon­es comme M. Grammond et le professeur Michel Doucet, de l’Université de Moncton, ont déjà constaté que leurs plaidoirie­s n’avaient pas toujours été correcteme­nt traduites, ce qui pouvait désavantag­er les Canadiens qu’ils représenta­ient.

Une politique, aussi bien intentionn­ée soit-elle, ne peut suffire à assurer la pérennité du critère du bilinguism­e puisqu’elle n’a pas force de loi. Ce critère doit être enchâssé dans une loi et il revient au gouverneme­nt actuel, s’il y croit vraiment, de trouver le moyen d’y parvenir.

 ??  ?? MANON CORNELLIER
MANON CORNELLIER

Newspapers in French

Newspapers from Canada