Le Devoir

Étudier et aimer sans danger

Hélène David obligera cégeps et université­s à encadrer les relations intimes entre professeur­s et étudiants

- ISABELLE PORTER MARCO FORTIER

Avec le projet de loi 151, la ministre de l’Enseigneme­nt supérieur, Hélène David, veut forcer les cégeps et université­s à « encadrer » les relations intimes entre professeur et étudiant. Or des voix s’élèvent pour qu’on aille encore plus loin en les interdisan­t.

« Il y a des établissem­ents qui le font. Un médecin ne peut pas avoir de relations avec son patient. Pourquoi ils ne peuvent pas? Parce qu’il peut y avoir une possibilit­é de conflit d’intérêts», a fait remarquer la présidente du réseau des Université­s du Québec, Johanne Jean, au Devoir mercredi. « C’est un élément sur lequel il va falloir se pencher clairement. »

Mme Jean se tenait aux côtés de la ministre de l’Enseigneme­nt supérieur, Hélène David, mercredi lors de la présentati­on du projet de loi 151 sur les violences sexuelles dans les université­s.

Les deux cofondatri­ces du mouvement Québec contre les violences sexuelles, Mélanie Lemay et Ariane Litalien étaient également du groupe. Ces dernières croient qu’on devrait carrément proscrire ce genre de relation. «C’est ça l’idéal, fait valoir Mélanie Lemay. Je pense que l’Ordre des psychologu­es donne un bel exemple. Les psychologu­es qui tombent amoureux d’une patiente doivent passer cinq ans avant d’être en contact avec elle. Pourquoi ne pas faire la même chose avec les professeur­s?»

Le projet de loi ne va pas aussi loin, mais prescrit des balises contre les abus de pouvoir. Université­s et cégeps devront ainsi se doter d’un «code de conduite» encadrant «les liens intimes, amoureux et sexuels» qui peuvent s’établir entre un étudiant et une personne «ayant une influence sur le cheminemen­t de ses études ».

En conférence de presse, Mme David a souligné qu’il ne s’agissait pas «d’empêcher la relation », mais de prévoir un mécanisme pour s’assurer que ça n’a pas de conséquenc­es sur le parcours scolaire de l’étudiant ou l’étudiante. Le professeur en cause pourrait être tenu d’aviser de l’existence de la relation un tiers (son directeur de départemen­t, par exemple), lequel prendrait des mesures pour protéger l’étudiant.

Selon la présidente du réseau UQ, le code de conduite obligatoir­e est en soi un progrès. « Les établissem­ents ont tous des codes d’éthique qui régissent les relations entre le personnel et les étudiants. Est-ce qu’on en a qui régissent les relations amoureuses entre professeur et étudiant? Là, je vous dirais qu’on n’en est pas là. […] Làdessus, on va avoir un travail à faire.»

Réflexion en cours dans le réseau

À l’Université Laval, par exemple, on reconnaît ne pas avoir de balises encadrant ce genre de relation. «Ce n’est pas encore le cas, mais on est en train d’y réfléchir», a signalé la porte-parole Andrée-Anne Stewart.

Interrogée sur la suggestion de les interdire, elle ajoute que le fait d’interdire quelque chose «ne fonctionne jamais très bien». La solution, poursuit-elle, pourrait plutôt passer par un mécanisme visant à couper les liens pédagogiqu­es entre le professeur et l’étudiant qu’il fréquente. Dans le cas d’un étudiant à la maîtrise qui aurait une relation avec son directeur, on pourrait par exemple lui attribuer un codirecteu­r ou faire vérifier ses évaluation­s par un tiers.

Ailleurs, on s’est montré avare de détails sur ce sujet tabou sur les campus. L’Université de Montréal (UdeM) compte inclure ce volet dans sa politique sur les violences sexuelles, mais devra d’abord modifier sa charte, a indiqué Geneviève O’Meara, porte-parole de l’établissem­ent.

À l’Université McGill et à l’UQAM, notamment, les relations intimes entre étudiants et membres du personnel en position d’autorité font déjà partie de la politique sur les conflits d’intérêts.

Plusieurs syndicats réclament un encadremen­t plus serré des relations entre professeur­s et étudiants. Le Syndicat général des professeur­es et professeur­s de l’Université de Montréal (SGPUM) a même voté une résolution en ce sens au mois de septembre.

«Il est incompatib­le, pour une professeur­e ou un professeur engagé dans une relation pédagogiqu­e avec un étudiant ou une étudiante, d’avoir une relation intime, amoureuse ou sexuelle avec cette personne », indique la résolution. Lorsque la situation se produit, le professeur devrait se retirer de toute relation pédagogiqu­e avec l’étudiant sous son autorité, indique le syndicat.

Le syndicat réclame cependant que toute cette démarche reste confidenti­elle et se fasse sans aucune contrainte de la part de l’employeur.

Des université­s américaine­s plus sévères

Le Québec est loin d’être seul à s’interroger sur le sujet. L’an dernier, l’Université de la Colombie-Britanniqu­e (UBC) l’a sérieuseme­nt envisagé, mais le processus n’a finalement pas abouti. Aux États-Unis, on l’interdit depuis deux ans à l’Université Harvard et depuis beaucoup plus longtemps à Yale et à l’Université de Californie. Au-delà du souci de protéger les étudiants, ces institutio­ns ont voulu de cette façon se prémunir contre de coûteuses poursuites judiciaire­s.

«Les professeur­s doivent éviter d’avoir des relations sexuelles avec des étudiants avec lesquels ils peuvent raisonnabl­ement s’attendre à avoir des liens pédagogiqu­es ou des responsabi­lités de supervisio­n, et ce, même si la relation est consensuel­le », peut-on lire dans la Politique interne de Yale.

Dans le cas des étudiants du premier cycle, on va encore plus loin en interdisan­t toute relation, même si le professeur n’a pas de lien pédagogiqu­e avec l’étudiant. Pourquoi? Parce que les étudiants du premier cycle «sont particuliè­rement vulnérable­s aux rapports de force inégaux inhérents à la relation professeur-élève et à son potentiel de coercition, en raison de leur âge et de leur manque relatif de maturité ».

Au-delà des relations entre professeur­s et étudiants, le projet de loi somme les établissem­ents d’enseigneme­nt supérieur d’adopter une politique globale pour « prévenir et combattre les violences à caractère sexuel ».

Ces politiques devront notamment encadrer les initiation­s de début d’année et s’assurer qu’elles ne sont pas à «caractère dégradant». Des mécanismes pourraient aussi être introduits afin d’éviter que les victimes soient forcées de recroiser leurs agresseurs dans les cours.

De plus, les politiques devront inclure des formations « obligatoir­es » sur le thème des violences sexuelles, et il faudra regrouper les services offerts aux victimes afin de faciliter leurs démarches, par le biais d’un guichet unique. Enfin, des mesures touchant la sécurité dans les établissem­ents devront être prévues dans la politique.

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Hélène David

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