Le Devoir

Hors des sentiers battus

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Dès son décollage il y a tout juste 14 mois, il était évident que l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtone­s disparues et assassinée­s n’aurait pas assez de deux ans pour faire le travail qu’on attendait d’elle. Elle demande donc plus de temps, mais aussi des gestes immédiats des gouverneme­nts.

Le mandat de la commission est clair. Elle peut passer en revue des dossiers d’enquête afin de déceler des problèmes systémique­s au sein des corps policiers et autres institutio­ns, mais il ne lui revient pas de reprendre une enquête particuliè­re. Advenant la découverte de faits nouveaux, elle peut cependant recommande­r aux autorités la réouvertur­e d’un dossier. Cette solution n’a jamais plu aux familles qui ignorent ce qui est advenu de leur proche disparue ou dont la mort violente n’a pas été résolue. Cela exigerait d’elles de faire confiance aux mêmes corps policiers qui les ont, selon elles, flouées. Il n’est donc pas surprenant que la commission recommande au gouverneme­nt fédéral de mettre sur pied, en collaborat­ion avec les provinces, une escouade spéciale vers qui diriger les familles et les sur vivantes.

La ministre des Relations Couronne-Autochtone­s, Carolyn Bennett, a affiché son intérêt, mais elle veut d’abord en discuter avec les commissair­es avant de se mouiller davantage. Son ouverture est la bienvenue, car le traitement discrimina­toire réservé aux victimes autochtone­s par le système judiciaire n’est plus un secret, et les familles et les survivante­s qui attendent depuis des années, sinon des décennies, ont droit à des réponses.

Cette recommanda­tion a attiré l’attention, et avec raison, mais le rapport provisoire de la commission, publié mercredi, va plus loin. Il lève finalement le voile sur ce qui a ralenti sa démarche et lui a valu des démissions, une pluie de critiques et même des appels au sabordage. Il y a eu ces obstacles bureaucrat­iques et administra­tifs dont nous faisions état dans nos pages en septembre, mais aussi cette démarche, moins bien comprise et source de tirailleme­nts, de décolonisa­tion du processus d’enquête. Concilier les exigences du système juridique canadien et les traditions et principes autochtone­s a été le défi le plus important à relever, et il le restera jusqu’à la fin, reconnaiss­ent les commissair­es.

Mais le relever était nécessaire, car plusieurs facteurs pouvant expliquer la violence contre les femmes autochtone­s découlent des politiques colonialis­tes qui ont profondéme­nt déséquilib­ré les rapports de pouvoir, y compris au sein des communauté­s. Or la violence, sexuelle ou non, contre les femmes est un geste de pouvoir, comme on le répète depuis des semaines. Il n’en va pas autrement pour les femmes autochtone­s, d’où ce principe qui guide la commission : «aider les femmes et les filles autochtone­s à retrouver le pouvoir et la place qui leur reviennent».

Les commissair­es ont passé en revue 98 rapports qui ont abordé, en tout ou en partie, la violence faite aux femmes autochtone­s. C’est sans surprise qu’on apprend que leurs constats et leurs recommanda­tions se recoupent et que nombre de ces dernières sont restées lettre morte. D’où cet appel à des gestes rapides des gouverneme­nts.

Il reste quand même beaucoup de travail à faire, et le gouverneme­nt doit envisager de prolonger le mandat de l’enquête et de lui offrir plus de ressources. Malheureus­ement, on ignore de combien de temps et d’argent la commission aura besoin, car les commissair­es se sont donné encore «quelques semaines» pour nous le dire. On ne veut pas revenir à la charge plus tard, a expliqué la présidente, Marion Buller, car les familles veulent tourner la page. Soit, mais voilà une raison de plus pour ne pas laisser durer le suspense.

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MANON CORNELLIER

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